Mercredi 6 mai, plusieurs centaines de personnes âgées ont manifesté devant le ministère de la Santé et du Planning familial à Pékin pour se plaindre de la précarité de leurs conditions économiques. Parents endeuillés par la perte de leurs enfants, ils dénoncent la politique de l’enfant unique comme la cause de la précarité financière à laquelle ils sont contraints aujourd’hui.
Selon Radio Free Asia (RFA) qui rapporte la nouvelle dans une dépêche datée du 7 mai, huit cents personnes âgées ont manifesté en présence d’un important déploiement policier. Elles portaient des pancartes où l’on pouvait lire les inscriptions suivantes : « Si vous voulez que le rêve chinois devienne réalité, soulagez la peine des parents endeuillés ! » ou bien « Qui doit supporter les conséquences des politiques gouvernementales ? ». Des manifestants portaient un T-shirt où était inscrite la phrase : « Notre lignée familiale a été interrompue par la politique de l’enfant unique ! »
Outre les policiers, des bus avaient été amenés sur place par les autorités pour ramener chez elles les personnes âgées. Plusieurs bus étaient ainsi programmés pour partir à Shenyang, distante de 700 kilomètres de la capitale chinoise.
Selon un manifestant interrogé par RFA, toutes les personnes âgées rassemblées ce mercredi ont été contraintes d’adhérer à la politique de l’enfant unique, politique édictée le 25 septembre 1980, il y a presque trente-cinq ans, et ont eu le malheur de voir leur enfant décéder depuis. « Nous n’avons personne pour prendre soin de nous ou nous soutenir. Nous avons perdu nos enfants et le montant que nous percevons de nos retraites est bien insuffisant pour ne serait-ce que survivre, explique ce manifestant. Si nous devons aller à l’hôpital, il nous faut débourser des sommes très importantes. »
Selon les estimations des milieux proches de ces manifestants, le nombre des personnes âgées qui ont perdu leur unique enfant et qui ne disposent pas du minimum vital aujourd’hui s’élève à un million. Ces personnes âgées s’estiment en droit de revendiquer des moyens de subsistance au gouvernement car, font-elles valoir, elles ont obéi à la politique de l’enfant unique non par choix personnel mais par sens du devoir envers la communauté nationale.
Venue du Jilin, province du Nord-Est, une manifestante qui ne s’identifie que sous le pseudonyme de A Fang précise qu’à titre personnel, elle ne remet pas en cause la politique de l’enfant unique, mais qu’elle reproche au gouvernement de se dérober à ses responsabilités en refusant de faire face aux conséquences induites par cette politique. « Le problème ne va pas disparaître, met-elle en garde. Plus ils essaieront d’esquiver leurs responsabilités, plus l’esprit de rébellion grandira. »
Zhao Min vient elle du Hebei, la province qui entoure Pékin. Son fils unique est mort à l’âge de 16 ans, au cours d’une rixe provoquée par cinq jeunes sous l’emprise de l’alcool – qui, par ailleurs, ont réussi à échapper à toute condamnation. « Chacun sait la place qu’un enfant décédé peut occuper dans le cœur de ses parents. Aucune douleur n’est plus lourde à porter. Nous ne demandons pas grand-chose ; nous pensons que la législation est juste, mais nous avons perdu nos enfants et nous réclamons justice. »
En manifestant ainsi le 6 mai, les parents endeuillés soulignent certaines des contradictions des politiques démographiques et sociales menées par les autorités depuis 1980. Les raisons qui ont présidé à la mise en place de la politique de l’enfant unique sont connues : au tournant des années 70 et 80, Deng Xiaoping lance le pays sur la voie des réformes économiques, et les planificateurs mettent en garde contre le risque de voir les efforts en termes d’accroissement de la richesse grignotés par une augmentation démographique jugée excessive. Des experts étrangers sont consultés et préconisent la mise en place d’un système de retraite et de sécurité sociale pour inciter les couples à réduire leur fécondité. Mais la haute direction chinoise tranche, estimant que la mise en place d’un tel système est trop coûteuse et sa réussite hasardeuse. En décrétant la politique de l’enfant unique, elle décide d’opter pour une politique volontariste et coercitive de maîtrise de la croissance de la population.
Trente-cinq ans plus tard, la politique de l’enfant unique est toujours en place, même si elle a été, timidement, remise en cause récemment. En revanche, l’Etat a progressivement mis en place un système de retraites. Toutefois, la difficulté est que ce programme est à la fois inégalitaire, incomplet et très nettement sous-financé.
Selon le site Question Chine.net, les inégalités sont flagrantes et se lisent dans le montant des pensions : après une augmentation décidée en 2011, les retraites mensuelles payées aux fonctionnaires ou assimilés s’élèvent à 2 175 yuans (300 euros) contre seulement 1 500 yuans (210 euros) dans le privé. Mais, pour les moins bien lotis (ouvriers agricoles ou travailleurs occasionnels des grands centres urbains), les sommes sont dérisoires et dépassent rarement 100 yuans (14 euros). Par ailleurs, à partir de 1997, plusieurs réformes pilotes ont été lancées qui aboutirent à pensionner plus de 300 millions de travailleurs urbains et près de 500 millions de ruraux dans deux systèmes de retraite séparés. Mais les sommes versées restent maigres et aucune inégalité n’a été corrigée. Surtout, la question du financement n’a pas été réglée. Il y a peu, suivant les conseils des sociologues chinois, l’idée a été avancée d’allonger la durée du travail à 65 ans pour les hommes et 60 ans pour les femmes (actuellement, l’âge de la retraite est de 60 ans pour les hommes et 55 ans pour les femmes). Le projet a suscité un tel tollé que le Conseil des Affaires d’Etat, i.e. le gouvernement central, l’a abandonné.
En comparaison, par exemple, de la France où les plus de 65 ans représentent 18 % de la population, la Chine ne compte encore qu’une proportion limitée de personnes âgées : 9,4 % de plus de 65 ans en 2013 (soit 126 millions de personnes, dont 35 millions ont de très faibles revenus). Toutefois, le déficit des caisses de retraite est déjà considérable et les démographes indiquent que le vieillissement de la population chinoise s’accélère. Les statistiques gouvernementales montrent qu’en 2050, un tiers de la population chinoise sera âgé de plus de 60 ans.
Dans ce contexte qui promet une exacerbation des tensions sociales, l’Etat tente de réagir et légifère pour inscrire dans la loi des comportements culturels ancrés dans le confucianisme et caractérisés par le respect des plus jeunes envers les aînés mais que les évolutions sociales récentes semblent avoir affaibli. Pour ce faire, les dirigeants de la Chine populaire, qui ont pour habitude de regarder de très près ce que leurs homologues de Singapour font, se sont inspirés de mesures en vigueur dans la cité-Etat. Depuis le début des années 1990, les autorités singapouriennes peuvent poursuivre les enfants qui abandonnent leurs parents nécessiteux pour les obliger à contribuer financièrement à leur soutien. Depuis juillet dernier en Chine populaire, une nouvelle disposition oblige les enfants devenus adultes à rendre visite à leurs parents âgés. Un amendement à la Loi sur la protection des droits et intérêts des personnes âgées stipule ainsi que les enfants, parvenus à l’âge adulte, sont responsables du soin, tant affectif qu’économique, de leurs parents âgés. L’amendement criminalise par ailleurs les violences domestiques faites aux personnes âgées et précise qu’un veuf ou une veuve, ou bien encore une personne divorcée, est libre de se remarier avec la personne de son choix, et que ce remariage n’enlève pas aux enfants préexistants leur devoir d’assistance envers leurs parents âgés.
Une des difficultés posées par cet amendement, font valoir les juristes chinois, est qu’il ne définit pas la fréquence appropriée des visites que doivent les enfants à leurs parents, pas plus qu’il ne fixe de sanctions en cas de non-observation de cette obligation filiale. Il ne dit rien, de plus, des parents qui ont perdu leurs enfants. Les critiques disent que, plutôt que de légiférer, le gouvernement devrait s’attacher à rendre réellement équitables, efficaces et pérennes les systèmes de protection sociale et de retraite qui ont été progressivement institués ces quinze à vingt dernières années. (eda/ra)
(Source: Eglises d'Asie, le 8 mai 2015)
Selon Radio Free Asia (RFA) qui rapporte la nouvelle dans une dépêche datée du 7 mai, huit cents personnes âgées ont manifesté en présence d’un important déploiement policier. Elles portaient des pancartes où l’on pouvait lire les inscriptions suivantes : « Si vous voulez que le rêve chinois devienne réalité, soulagez la peine des parents endeuillés ! » ou bien « Qui doit supporter les conséquences des politiques gouvernementales ? ». Des manifestants portaient un T-shirt où était inscrite la phrase : « Notre lignée familiale a été interrompue par la politique de l’enfant unique ! »
Outre les policiers, des bus avaient été amenés sur place par les autorités pour ramener chez elles les personnes âgées. Plusieurs bus étaient ainsi programmés pour partir à Shenyang, distante de 700 kilomètres de la capitale chinoise.
Selon un manifestant interrogé par RFA, toutes les personnes âgées rassemblées ce mercredi ont été contraintes d’adhérer à la politique de l’enfant unique, politique édictée le 25 septembre 1980, il y a presque trente-cinq ans, et ont eu le malheur de voir leur enfant décéder depuis. « Nous n’avons personne pour prendre soin de nous ou nous soutenir. Nous avons perdu nos enfants et le montant que nous percevons de nos retraites est bien insuffisant pour ne serait-ce que survivre, explique ce manifestant. Si nous devons aller à l’hôpital, il nous faut débourser des sommes très importantes. »
Selon les estimations des milieux proches de ces manifestants, le nombre des personnes âgées qui ont perdu leur unique enfant et qui ne disposent pas du minimum vital aujourd’hui s’élève à un million. Ces personnes âgées s’estiment en droit de revendiquer des moyens de subsistance au gouvernement car, font-elles valoir, elles ont obéi à la politique de l’enfant unique non par choix personnel mais par sens du devoir envers la communauté nationale.
Venue du Jilin, province du Nord-Est, une manifestante qui ne s’identifie que sous le pseudonyme de A Fang précise qu’à titre personnel, elle ne remet pas en cause la politique de l’enfant unique, mais qu’elle reproche au gouvernement de se dérober à ses responsabilités en refusant de faire face aux conséquences induites par cette politique. « Le problème ne va pas disparaître, met-elle en garde. Plus ils essaieront d’esquiver leurs responsabilités, plus l’esprit de rébellion grandira. »
Zhao Min vient elle du Hebei, la province qui entoure Pékin. Son fils unique est mort à l’âge de 16 ans, au cours d’une rixe provoquée par cinq jeunes sous l’emprise de l’alcool – qui, par ailleurs, ont réussi à échapper à toute condamnation. « Chacun sait la place qu’un enfant décédé peut occuper dans le cœur de ses parents. Aucune douleur n’est plus lourde à porter. Nous ne demandons pas grand-chose ; nous pensons que la législation est juste, mais nous avons perdu nos enfants et nous réclamons justice. »
En manifestant ainsi le 6 mai, les parents endeuillés soulignent certaines des contradictions des politiques démographiques et sociales menées par les autorités depuis 1980. Les raisons qui ont présidé à la mise en place de la politique de l’enfant unique sont connues : au tournant des années 70 et 80, Deng Xiaoping lance le pays sur la voie des réformes économiques, et les planificateurs mettent en garde contre le risque de voir les efforts en termes d’accroissement de la richesse grignotés par une augmentation démographique jugée excessive. Des experts étrangers sont consultés et préconisent la mise en place d’un système de retraite et de sécurité sociale pour inciter les couples à réduire leur fécondité. Mais la haute direction chinoise tranche, estimant que la mise en place d’un tel système est trop coûteuse et sa réussite hasardeuse. En décrétant la politique de l’enfant unique, elle décide d’opter pour une politique volontariste et coercitive de maîtrise de la croissance de la population.
Trente-cinq ans plus tard, la politique de l’enfant unique est toujours en place, même si elle a été, timidement, remise en cause récemment. En revanche, l’Etat a progressivement mis en place un système de retraites. Toutefois, la difficulté est que ce programme est à la fois inégalitaire, incomplet et très nettement sous-financé.
Selon le site Question Chine.net, les inégalités sont flagrantes et se lisent dans le montant des pensions : après une augmentation décidée en 2011, les retraites mensuelles payées aux fonctionnaires ou assimilés s’élèvent à 2 175 yuans (300 euros) contre seulement 1 500 yuans (210 euros) dans le privé. Mais, pour les moins bien lotis (ouvriers agricoles ou travailleurs occasionnels des grands centres urbains), les sommes sont dérisoires et dépassent rarement 100 yuans (14 euros). Par ailleurs, à partir de 1997, plusieurs réformes pilotes ont été lancées qui aboutirent à pensionner plus de 300 millions de travailleurs urbains et près de 500 millions de ruraux dans deux systèmes de retraite séparés. Mais les sommes versées restent maigres et aucune inégalité n’a été corrigée. Surtout, la question du financement n’a pas été réglée. Il y a peu, suivant les conseils des sociologues chinois, l’idée a été avancée d’allonger la durée du travail à 65 ans pour les hommes et 60 ans pour les femmes (actuellement, l’âge de la retraite est de 60 ans pour les hommes et 55 ans pour les femmes). Le projet a suscité un tel tollé que le Conseil des Affaires d’Etat, i.e. le gouvernement central, l’a abandonné.
En comparaison, par exemple, de la France où les plus de 65 ans représentent 18 % de la population, la Chine ne compte encore qu’une proportion limitée de personnes âgées : 9,4 % de plus de 65 ans en 2013 (soit 126 millions de personnes, dont 35 millions ont de très faibles revenus). Toutefois, le déficit des caisses de retraite est déjà considérable et les démographes indiquent que le vieillissement de la population chinoise s’accélère. Les statistiques gouvernementales montrent qu’en 2050, un tiers de la population chinoise sera âgé de plus de 60 ans.
Dans ce contexte qui promet une exacerbation des tensions sociales, l’Etat tente de réagir et légifère pour inscrire dans la loi des comportements culturels ancrés dans le confucianisme et caractérisés par le respect des plus jeunes envers les aînés mais que les évolutions sociales récentes semblent avoir affaibli. Pour ce faire, les dirigeants de la Chine populaire, qui ont pour habitude de regarder de très près ce que leurs homologues de Singapour font, se sont inspirés de mesures en vigueur dans la cité-Etat. Depuis le début des années 1990, les autorités singapouriennes peuvent poursuivre les enfants qui abandonnent leurs parents nécessiteux pour les obliger à contribuer financièrement à leur soutien. Depuis juillet dernier en Chine populaire, une nouvelle disposition oblige les enfants devenus adultes à rendre visite à leurs parents âgés. Un amendement à la Loi sur la protection des droits et intérêts des personnes âgées stipule ainsi que les enfants, parvenus à l’âge adulte, sont responsables du soin, tant affectif qu’économique, de leurs parents âgés. L’amendement criminalise par ailleurs les violences domestiques faites aux personnes âgées et précise qu’un veuf ou une veuve, ou bien encore une personne divorcée, est libre de se remarier avec la personne de son choix, et que ce remariage n’enlève pas aux enfants préexistants leur devoir d’assistance envers leurs parents âgés.
Une des difficultés posées par cet amendement, font valoir les juristes chinois, est qu’il ne définit pas la fréquence appropriée des visites que doivent les enfants à leurs parents, pas plus qu’il ne fixe de sanctions en cas de non-observation de cette obligation filiale. Il ne dit rien, de plus, des parents qui ont perdu leurs enfants. Les critiques disent que, plutôt que de légiférer, le gouvernement devrait s’attacher à rendre réellement équitables, efficaces et pérennes les systèmes de protection sociale et de retraite qui ont été progressivement institués ces quinze à vingt dernières années. (eda/ra)
(Source: Eglises d'Asie, le 8 mai 2015)