Le texte ci-dessous a été élaboré par le Conseil permanent de la Conférence des évêques catholiques du Vietnam, réuni pour cette occasion dans les nouveaux locaux de la conférence épiscopale à Hô Chi Minh-Ville. Il a été envoyé au président de l’Assemblée nationale et au directeur du Bureau des Affaires religieuses, le 4 mai 2015, quelque temps avant que ne s’achève le court délai accordé aux communautés religieuses pour présenter leurs remarques et leurs contributions. Comme on le verra, le verdict des évêques sur le texte gouvernemental est particulièrement sévère. Il ne contient en effet aucune remarque positive. Des chapitres entiers (chapitre 11 et 12) sont rejetés en bloc. En conclusion, les auteurs du texte font part de leur désaccord avec le projet gouvernemental et proposent que celui-ci soit entièrement changé.

La rédaction d’Eglises d’Asie a traduit ce texte dont la version vietnamienne a paru sur le site officiel de la Conférence épiscopale du Vietnam, le 5 mai dernier.

Conférence épiscopale du Vietnam.
Remarques et contributions au projet de loi N° 4 sur les croyances et la religion.

A Monsieur Nguyen Sinh Hung, président de l’Assemblée nationale de la République socialiste du Vietnam,
A Monsieur Pham Ding Truong, directeur du Bureau gouvernemental des Affaires religieuses.


En réponse à la demande de contribution au projet de loi sur les croyances et la religion (que nous nommerons désormais le projet n° 4), nous, les membres du Conseil permanent, au nom de la Conférence des évêques du Vietnam, nous vous présentons les remarques et propositions suivantes :

I. Remarques générales

Le projet de loi N° 4 n’indique pas clairement quel est son objectif. Les lois sont en effet créées pour garantir les droits de l’homme, pour établir l’égalité entre les organisations, les individus qui ont l’occasion de contribuer au développement commun du pays. Elles sont aussi créées pour apporter la concorde à l’intérieur de la société ainsi que dans la communauté nationale.

La condition décisive pour que la concorde soit présente au sein de la communauté nationale, c’est que les gens du peuple puissent réaliser pleinement leur humanité, à savoir (Ndt – selon la maxime confucéenne) : « Qu’ils se corrigent eux-mêmes, gèrent leurs familles, gouvernent leur pays », en suivant pour cela le mandat du ciel, en profitant des conditions favorables d’ici-bas, et en établissant la paix de l’humanité. « Le mandat du ciel », c’est le dessein du ciel ; « les conditions favorables ici-bas » correspondent à la tradition culturelle et morale de notre pays ; « la paix de l’humanité », c’est la paix au cœur de l’homme, au sein du sentiment religieux de la population.

Dans le texte du projet de loi N° 4, il y a des dispositions législatives qui ne visent qu’à servir l’intérêt des autorités (comme par exemple l’article 9 (1) ou encore les articles traitant de l’enregistrement des religions…). Ces dispositions oublient les intérêts des gens du peuple en ne reconnaissant pas clairement le statut de « personne morale » de l’organisation religieuse.

Le plus grand défaut du projet de loi, c’est l’absence de reconnaissance de l’existence légale d’une organisation religieuse devant la loi vietnamienne. Cette non-reconnaissance empêche l’organisation religieuse d’être une personne morale telle que celle-ci est définie aux articles 84 85 du Code civil de 2005.

D’une façon générale, le projet de loi N° 4 marque un recul considérable en ce qui concerne la liberté de croyances et de religion, apportant davantage d’inquiétudes que d’apaisement chez tous.

II. Un certain nombre de détails

Le projet N° 4 comporte de nombreuses dispositions légales ou des éléments de celles-ci tout à fait insuffisants… Elles ne reflètent pas les bonnes dispositions d’un Etat qui respecte la liberté de croyance et de la religion au sein de la population. Nous nous contenterons ici de présenter les dispositions légales et les éléments de ces dispositions les plus inquiétants.

1. L’article 2, paragraphe 4 n’explique pas clairement ce que signifie l’expression « dispositions de la loi » (2).

2. L’article 6, paragraphe 5B comporte des prescriptions trop générales et trop vagues (3). En effet, il peut y avoir opposition sur la doctrine et la morale entre les conceptions des religions et la politique de l’Etat, comme par exemple en matière d’avortement, de divorce, de mariage homosexuel… C’est pourquoi, sur ce sujet, on ne peut accepter une interdiction pure et simple de ce qui est contraire à la politique de l’Etat.

3. L’article 15 du projet de loi énumère les activités que peuvent mener les organisations religieuses après avoir obtenu l’enregistrement légal. Dans cette liste, il manque les droits nécessaires à la survie de l’organisation religieuse. Dans le paragraphe 1, on se contente de reconnaître le droit « de restaurer et de réformer, le droit d’élever à une catégorie supérieure les ouvrages destinés au culte religieux ». Mais on ne fait aucune mention des droits de propriété et d’utilisation de cet établissement.

4. L’article 18 de la Charte des Nations Unies et l’article 24 de la Constitution de la République socialiste du Vietnam (remaniée en 2013) prescrivent l’une et l’autre : « Tous les hommes jouissent également de la liberté de croyances et de religion ». C’est pourquoi, il faut répondre aux besoins religieux des personnes emprisonnées ; il s’agit là d’une disposition exigée par la charte des Nations Unies et par la Constitution.

5. Article 32. Les congrès et les assemblées des organisations religieuses n’ont pas besoin de l’accord des organes gouvernementaux compétents. En effet, il s’agit là d’une affaire relevant de l’autorité interne de l’organisation religieuse.

7. L’article 38 représente un véritable recul si on le compare avec l’article 22 de l’Ordonnance sur les croyances et les religions ou avec l’article 19 de l’arrêté 92 (4).

8. L’article 49 comporte des exigences trop lourdes et trop astreignantes. Les dignitaires religieux, les clercs, les religieux, les croyants qui participent aux activités des sessions de formation religieuse à l’étranger accomplissent une activité purement religieuse. Ils n’ont pas besoin de recevoir l’accord des organes administratifs de l’Etat. Ce dernier n’a pas besoin de s’immiscer aussi profondément dans les affaires intérieures des religions.

9. L’énoncé de l’article 50 (5) est trop vague (5). Qu’est-ce qu’une organisation religieuse internationale ? Que signifie : « Participer à une organisation religieuse internationale ? » Une prescription aussi vague sera la source de difficultés pour les activités religieuses.

10. L’article 51 au paragraphe 1 déclare : « Les organisations religieuses ont le droit d’organiser les collectes, de recevoir des biens qui leur sont offerts volontairement… » Cet article ignore ou encore limite des activités d’organisation religieuse comme la gestion et l’utilisation de ces biens, les comptes bancaires, l’achat, la vente la cession des établissements religieux en fonction de leurs besoins concrets…

11. Article 52. Les organisations religieuses doivent être libres de leurs activités dans le domaine caritatif, humanitaire et cela, sans qu’il leur soit imposé de quelconques limites.

12. Article 54. Comment faut-il comprendre l’expression « les biens légaux » lorsque les organisations religieuses n’ont pas encore été reconnues comme personnes morales ?

13. Article 66. La disposition concernant la résolution des réclamations et des plaintes ne parle que des plaintes en vue d’un procès, d’une décision administrative, d’une mesure administrative conformément à la loi sur les procédures administratives. Le fait que les organisations religieuses ont le droit de porter plainte devant les tribunaux de toute instance pour défendre leurs intérêts légaux n’a pas été mentionné, par exemple, dans le cas où il y a spoliation des terrains et des établissements religieux.

14. Le chapitre 10 et le chapitre 11 ne respectent pas le droit à la liberté religieuse (6) ; ils témoignent du caractère oppressif des forces que l’Etat fait subir aux organisations religieuses. Ils créent des brèches qui permettront aux organes législatifs d’abuser de leur pouvoir. C’est pourquoi ces deux chapitres sont en contradiction avec l’article 2 du projet de loi N° 4 ainsi qu’avec la Constitution de 1992 et sa refonte de 2013.

III. Propositions

Le projet de loi N° 4 représente un recul par rapport à la Déclaration internationale des droits de l’homme (article 18) et à la Constitution de la République socialiste du Vietnam, amendée en 2013 (article 24). Nous remarquons que le projet de loi N° 4 effectue aussi un retour en arrière si on le compare avec l’Ordonnance sur les croyances et la religion de l’année 2004. Ce projet comporte beaucoup trop de formalités embrouillées, des mécanismes et des chaînes destinées à entraver l’exercice de la religion.

En conséquence, voici quelles sont nos propositions :
- en désaccord avec le projet de loi N° 4 sur les croyances de religion,
- nous proposons d’élaborer à nouveau un autre projet de loi conforme à l’esprit de liberté et de démocratie et portant marque d’une société orientée vers le progrès.

Le nouveau projet devra être soumis à l’appréciation des organisations religieuses. Avant tout, celles-ci devront être reconnues comme des personnes morales et être protégées par la loi.

Fait à Hô Chi Minh-Ville, le 4 mai 2015,
Le Conseil permanent de la Conférence épiscopale du Vietnam

Les notes sont de la Rédaction d'Eglises d'Asie.
(1) L’article 9 est consacré à l’enregistrement des manifestations annuelles des « croyances » (les fêtes folkloriques).
(2) Le paragraphe 4 de l’article 2 explique que l’Etat garantit la liberté de croyance et de religion en fonction des dispositions de la loi (sans définir lesquelles).
(3) Le paragraphe 5 b de l’article 6 sanctionne une prédication qui s’oppose à la loi, à la ligne politique de l’Etat, etc.
(4) L’article 38 prévoit les conditions que doivent remplir les dirigeants religieux pour effectuer un déplacement de responsables religieux.
(5) L’article 50 traite de la participation des catholiques vietnamiens aux organisations religieuses dites « internationales ».
(6) Ces deux derniers chapitres traitent des enquêtes menées par le gouvernement sur les groupes religieux et des sanctions éventuelles.

(Source: Eglises d'Asie, le 26 mai 2015)