La victoire aux élections générales à venir en Inde sera-t-elle celle des gourous ? C’est la question que posent deux journalistes indiens dans les colonnes de l’agence Ucanews, ce 31 janvier. La progression spectaculaire de l’hindouiste Narendra Modi, ministre-président du Gujarat et candidat du BJP pour le poste de Premier ministre en Inde, l’atteste : le soutien des gourous et leaders hindous en sa faveur a joué un rôle décisif, tout comme sa décision d’ériger une statue géante à la gloire de Sardar Patel, une grande figure de l’indépendance indienne, recyclée pour l’occasion en champion du nationalisme hindou.

Ces derniers mois, Narendra Modi a également affronté dans un duel médiatique, Nitish Kumar, ministre-président du Bihar, qui a annoncé fin novembre lancer la construction du « plus grand temple hindou au monde » avec la bénédiction de l’un des gourous les plus influents, Swaroopananda Saraswati. Un soutien religieux qui lui a d’ores et déjà permis de rallier de nombreux électeurs.

L’article ci-dessous, signé de Ritu Sharma et de Christopher Joseph, a été traduit par la rédaction d’Eglises d’Asie.

Alors que se rapprochent les échéances des élections générales indiennes, les leaders religieux semblent plus que jamais déterminés à y jouer un rôle décisif avant même l’annonce officielle des dates du scrutin.

Le très célèbre gourou Ramdev, maître yogi, vient de déclarer son soutien au parti hindouiste Bharatiya Janata Party (BJP), et a promis de rassembler 200 millions de voix pour ce dernier. Le pari pourrait s’avérer risqué, sachant que sur 715 millions d’électeurs potentiels en Inde, seuls 60 % d’entre eux en moyenne, soit 364 millions de personnes, se rendent en réalité aux urnes.

Quoi qu’il en soit, le gourou prévoit de parrainer des sessions de yoga pour 100 000 personnes dans plusieurs villes à partir de mars prochain. Durant ces stages, a-t-il déclaré aux médias, il encouragera l’assistance à voter pour le BJP afin, dit-il, de stopper la corruption en Inde.

La corruption et l’inflation sont les principales accusations portées à l’encontre du Parti du Congrès, actuellement au pouvoir, dont le mandat de cinq ans à la tête de l’Etat expire le 21 mai prochain. Le parti s’est engagé à donner davantage de pouvoir aux femmes et à prendre des décisions qui conduiront à plus de transparence.

Lors des dernières élections, les deux partis principaux indiens, le BJP et le Parti du Congrès, ont chacun échoué à remporter les 272 sièges nécessaires (sur les 543 sièges que compte l’Assemblée) pour pouvoir former le gouvernement. Mais le Congrès, à la tête d’une alliance formée de plusieurs petits partis, a réussi à rassembler derrière lui 322 députés qui lui ont permis d’accéder à la fonction suprême.

Depuis les élections générales de 1984 où le Congrès avait remporté la victoire en raflant 414 sièges à l’Assemblée, plus aucun parti n’a jamais pu réussi à obtenir à lui seul la majorité, laissant ainsi la place à l’ère des coalitions politiques.

Les experts estiment que cette tendance va se poursuivre. « La prolifération des partis politiques va sans aucun doute compliquer encore davantage la mise en place d’un consensus politique », a déclaré James Clapper, directeur de l’US National Intelligence, jeudi 30 janvier.

Les partis politiques, qu’ils soient importants ou pas, ont tous commencé à promouvoir un programme en faveur des pauvres, des basses castes et des minorités religieuses. Cela permet aux petits partis et aux organisations religieuses d’exercer une influence en dehors de leurs cercles habituels.

La Conférence des évêques catholiques de l’Inde (CBCI), qui doit se réunir courant février pour son assemblée bisannuelle dans l’Etat méridional du Kerala, a prévu d’y délivrer, à cette occasion, ses consignes de vote.

La Commission pour la Justice, la Paix et le Développement de la CBCI, basée à New Delhi, a publié une déclaration le 28 janvier dernier invitant les fidèles à faire les bons choix en votant pour des candidats luttant pour la paix et contre la corruption.

Le P. Charles Irudayam, secrétaire de la Commission, a déclaré à l’agence Ucanews que la Conférence épiscopale avait demandé à tous les électeurs catholiques de « bien observer les candidats et de voter pour la personne qui respecterait le mieux la laïcité de la Constitution indienne ».

Les chrétiens, traditionnellement considérés comme des électeurs du Congrès, représentent environ 3 % du milliard d’Indiens mais forment un groupe détenant un pouvoir non négligeable dans certaines parties de l’Inde du sud-ouest et du nord-est [où le pourcentage de chrétiens peut atteindre jusqu’à 70 % de la population - NdT].

Les quelque 176 millions de musulmans indiens constituent également un important « bloc électoral ». Les leaders de la communauté musulmane à Delhi doivent eux aussi organiser un meeting le mois prochain, afin de discuter des enjeux des prochaines élections générales. « Nous avons invité les responsables de toutes les religions (...) afin de réfléchir ensemble sur les élections et les différents partis politiques », a déclaré à Ucanews l’un des chefs religieux de la Jama Masjid [la Grande Mosquée] de Delhi.

Les leaders des chrétiens comme ceux des musulmans ont déjà exprimé leur grande préoccupation concernant la tentative du BJP d’instaurer dans le pays un hindouisme nationaliste, tout particulièrement après la nomination par le parti du très controversé Narendra Modi comme candidat au poste de Premier ministre.

Le ministre-président du Gujarat est accusé d’avoir couvert les violences des extrémistes hindous à l’encontre des chrétiens et des musulmans qui se sont produites sous son mandat. Il est actuellement en tournée pour recueillir des suffrages au cours de grands rassemblements organisés dans toute l’Inde. Les responsables du BJP ont déclaré aux journalistes que le candidat devait rencontrer les évêques chrétiens du Kerala lors de son passage dans cet Etat en février prochain.

Un autre parti politique formé l’année dernière risque cependant de provoquer quelques surprises en détournant des voix du BJP et du Congrès. L’Aam Aadmi Party (ou Common Man’s Party) et son leader agnostique, Arvind Kejriwal, ne font en effet référence à aucune religion mais proposent un programme centré sur l’agriculture, l’industrie, le statut des femmes, les basses castes et l’emploi des jeunes. (eda/msb)

(1) Narendra Modi est notamment accusé d’avoir participé activement aux pogroms antimusulmans qui ont fait plus de 2 000 morts en 2002. Voir : http://eglasie.mepasie.org/asie-du-sud/inde/inde/2008-01-16-gujarat-consternation-et-inquietude-des-minorites

(Source: Eglises d'Asie, le 31 janvier 2014)