Dans un pays que l’Organisation mondiale de la santé classe au 190ème rang (sur 191), un prêtre catholique de l’archidiocèse de Mandalay a ouvert une clinique afin d’offrir des soins gratuits aux plus démunis. Dans un pays où les catholiques ne représentent qu’une petite minorité de 1,45 % de la population et à Mandalay, au cœur du pays birman, où on compte à peine 0,2 % de catholiques, cette clinique a été ouverte grâce ...

... aux bonnes relations que ce prêtre a pu nouer avec des moines bouddhistes.

Contacté au téléphone par Eglises d’Asie, le P. John Aye Kyaw, curé de la cathédrale du Sacré-Cœur à Mandalay, explique la genèse de son projet. Dans sa précédente affectation, curé d’une paroisse rurale et très isolée, il était toujours à la recherche de médicaments pour aider à soigner les populations alentours. « En Birmanie, précise-t-il, les gens ne meurent pas de faim, mais le pays souffre de deux maux principaux : la faiblesse du système éducatif et des failles béantes dans le système de santé » (1).

Nommé il y a un par son archevêque à Mandalay, le P. John a rejoint un « Groupe caritatif interreligieux », réunissant des bouddhistes, des protestants, des catholiques et des musulmans. L’été dernier, à l’occasion des festivités de la fin du ramadan, l’ensemble des membres du groupe fut invité à la mosquée de Mandalay. Quelques mois plus tard, ils se retrouvaient à l’archevêché pour un repas de Noël, « préparé par les musulmans afin qu’eux-mêmes puissent s’y joindre tout en respectant leurs interdits alimentaires ». « C’est ainsi que nous avons appris à nous connaître et à nous apprécier. Un moine m’a confié qu’auparavant, à la vue d’un crucifix ou d’une église chrétienne, il avait envie de jeter des pierres, mais que, dorénavant, il savait qu’il avait là des amis », explique le P. John.

Né en 1959 à Mandalay, le prêtre catholique avait envie de « faire quelque chose » pour les habitants de sa ville natale. Si on trouve bien des hôpitaux publics et des cliniques privées à Mandalay, les premiers sont débordés et minés par la corruption et les secondes hors de prix. « Il fallait faire quelque chose pour soigner les pauvres. J’ai pensé à un centre de soins mais je n’avais pas de terrain. Je me suis ouvert de mon projet à l’un des moines qui participaient à notre groupe caritatif interreligieux et c’est lui qui nous a trouvé une maison dans l’enceinte d’une pagode bouddhique, idéalement située à proximité immédiate du fleuve Irrawaddy », raconte le P. John.

Membre de Light of Asia Foundation, une ONG basée au Sri Lanka dont l’objet est le rayonnement du bouddhisme à travers le monde, le moine en question, le Vénérable Seinnita, était déjà engagé dans différents projets caritatifs. C’est lui qui a arrangé la mise à disposition de la maison qui, une fois rénovée, fait désormais office de clinique de jour. Ouverte au début de ce mois de mars, la clinique s’appuie sur une équipe de quinze médecins et de plusieurs infirmières, tous bénévoles, et accueille en moyenne de 50 à 60 patients par jour.

Parmi les personnes récemment soignées, poursuit le P. John, se trouve un moine bouddhiste porteur du virus HIV. Ce moine lui a confié avoir été contaminé avant de devenir moine et avoir choisi de revêtir la robe safran précisément pour être nourri et logé gratuitement en dépit de sa maladie, mais que jamais il n’aurait imaginé être soigné gratuitement dans une clinique ouverte par des catholiques. « Il en était très heureux », témoigne le P. John.

D’un point de vue financier, le prêtre catholique explique avoir apporté une somme équivalent à 7 400 dollars US afin de rénover et équiper la clinique. Des donateurs ont ajouté 1 350 autres dollars. Depuis, le P. John continue de financer l’achat de médicaments. Il précise qu’au fil des années, il s’est constitué un réseau de bienfaiteurs qui lui font passer de l’argent et des médicaments par des touristes de passage (le réseau bancaire étant inepte en Birmanie, les transferts internationaux sont impossibles). Anglophone, parlant l’italien et un peu de français, le prêtre aborde les touristes et leur demande de l’aider. « Plusieurs années après, des touristes continuent à me faire passer des colis par des visiteurs de passage », s’enthousiasme-t-il.

Selon le Vénérable Seinnita, la clinique répond à un besoin « vital » des habitants de Mandalay. « Nous aurions besoin de beaucoup plus de ce type d’initiatives à Mandalay mais aussi dans les campagnes », déclare-t-il à l’agence Ucanews (2), ajoutant qu’il était fier que « les religions aient pu travailler ensemble à la réalisation » d’un tel projet.

Pour le P. John, avoir travaillé en étroite collaboration avec des bouddhistes représente « une expérience intéressante ». « Du fait de la relation que nous avons nouée, le Vénérable Seinnita et moi, nous nous considérons comme des frères (…). Il est nécessaire que nous travaillons ensemble au bien de l’humanité, sans arrière-pensées politiques », explique-t-il. Interrogé sur les changements politiques que vit le pays depuis quelques mois, à quelques jours d’élections législatives partielles que la communauté internationale observera attentivement, le P. John déclare seulement : « Hier, pour la première fois, The Lady [Aung San Suu Ky] s’exprimait à la télévision. Bizarrement, à ce moment précis, la ville a été plongée dans le noir par une coupure d’électricité. » Il explique que si des changements ont bien été initiés par le gouvernement, celui-ci n’a pas la confiance de la population.

(1) Avec 3 %, la part du PIB que le gouvernement birman consacre à la santé est l’une des plus faibles, sinon la plus faible du monde. La mortalité infantile est de l’ordre de 10 % quand bien même la plupart meurent de maladies curables. Le paludisme est la première cause de mortalité des enfants de moins de 5 ans. La tuberculose continue de se propager. Enfin, le taux de prévalence du HIV est le plus élevé d’Asie. Pour toutes ces maladies, la part des personnes soignées est faible.
(2) Ucanews, 14 mars 2012.

(Source: Eglises d'Asie, 15 mars 2012)