Eglises d'Asie, 19 juillet 2011 - Au Vietnam, l’écart entre riches et pauvres se creuse. C’est la presse étatique elle-même qui lance aujourd’hui ce cri d’alarme. Le très officiel journal de l’armée populaire, le Quân Dôi Nhân Dân, titrait déjà le mois dernier : « L’écart entre les riches et les pauvres menace l’ordre et la sécurité » (1). Dans un article sur le même sujet paru il y a quelques jours, Tiên Phong, l’organe des Jeunesses communistes, s’étonne de constater que, malgré les résultats positifs affichés de la campagne pour l’élimination de la pauvreté, l’écart entre les riches et les pauvres bat aujourd’hui des records (2). ...

... Les chiffres les plus récents publiés par le l’Office général des statistiques sont en effet inquiétants, et ce d’autant plus qu’à l’exception de l’inflation qui sévit depuis plusieurs années, bon nombre d’indices de l’économie vietnamienne sont largement positifs, en particulier le taux de croissance du produit intérieur brut, qui était de 5,6 % pour les six premiers mois de l’année 2011 (3).

La plupart des reportages sur le sujet ont relevé que le revenu moyen de la classe aisée était neuf fois plus élevé que celui de la classe pauvre. Le salaire mensuel moyen des seconds est environ de 370 000 dongs (12,70 euros) alors que les émoluments des personnes appartenant à la classe que l’on pourrait appeler moyenne s’élèvent à environ 3 500 000 dongs, à savoir 120 euros.

D’autres chiffres mettent en relief l’inquiétant déséquilibre social que l’aggravation de la différence des niveaux de vie implique. Les statistiques des divers services sociaux révèlent qu’en 1995, les 20 % de la population situés en haut de l’échelle sociale avaient des revenus sept fois plus élevés que les 20 % de la population au bas de cette même échelle. Quatorze ans plus tard, en 2009, les ressources du premier groupe étaient 8,9 fois plus élevées que celles du second groupe. Le journal de l’armée populaire souligne le paradoxe que constitue cette fracture sociale si on la met en parallèle avec le développement économique du Vietnam. La croissance ne faiblit pas depuis quelque 25 ans (date de la mise en place, en décembre 1986, de la politique du dôi moi) ; le revenu moyen par habitant a presque quadruplé, tandis que la proportion des personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté est passé de 58 % en 1993 à 12,3 % en 2009.

Cet écart de revenu entre ces deux groupes sociaux entraîne bien évidemment une différence du mode de vie qui change du tout au tout en fonction de la catégorie sociale. Alors que les ouvriers ne dépensent pas plus de 8 000 à 10 000 dongs (27 à 34 centimes) pour un repas, les membres de la classe moyenne peuvent dépenser plusieurs millions. L’écart entre riches et pauvres est encore à l’origine de beaucoup d’autres sortes de différences sociales comme le mode de déplacement, l’habitation, l’éducation, où les frais de scolarité sont souvent élevés, etc.

Dans ce pays qui se définissait encore lors du récent congrès du Parti communiste, au mois de janvier dernier, comme étant dans « la période de transition vers le socialisme », la différence de revenus entre les diverses composantes de la société ne va pas sans poser de brûlantes questions. L’organe de l’armée vietnamienne voit dans cet écart entre riches et pauvres une menace directe contre l’ordre et la sécurité du pays, son système politique et sa défense nationale. Cette fracture crée une faille dans la solidarité sociale et donc dans l’unité nationale. Elle a des conséquences graves sur la criminalité et les divers fléaux sociaux et elle est la source d’un mécontentement social qui conduit à l’opposition à l’Etat, affirme le journal.

Les témoignages recueillis à ce sujet par Radio Free Asia (4) proposent une vision plus politique de cette inégale répartition des richesses au Vietnam. Selon l’un des témoins cités, originaire du Centre-Vietnam, cette situation découle de la structure politique du pays. « Les gens appartenant au système se protègent les uns les autres et utilisent leur pouvoir pour opprimer les pauvres », explique-t-il. Selon lui, il est dans l’ordre des choses que les pauvres le restent toujours et que les riches s’enrichissent davantage. Mme Lê Hiên Duc (5), bien connue au Vietnam pour sa lutte contre la corruption, répondant à la même enquête de Radio Free Asia, a déclaré que l’argent qui fait la richesse de certains a été très souvent acquis grâce au pouvoir politique et aux pratiques vénales qu’il autorise. Cet argent issu de la corruption permet aux membres de cette classe proche du pouvoir de se coopter les uns les autres auprès des banques où sont dépensés des dizaines de millions de dongs.

(1) Quân Dôi NhânDân, le 6 juin 2011. http://www.baomoi.com/Home/ThoiSu/www.qdnd.vn/Phan-hoa-giau-ngheo-anh-huong-den-an-ninh-trat-tu/6396933.epi
(2) Tiên Phong, le 8 juillet 2011 : http://www.tienphong.vn/Thoi-Su/544352/Chenh-lech-giau-ngheo-tai-Viet-Nam-len-toi-92-lan-tp.html
(3) Communiqué du ministère du Plan et de l’Investissement le 27 juin derniers. Rapporté par Vietnam plus le 27 juin 2011
(4) Radio Free Asia, émissions en langue vietnamienne, 15 juillet 2011.
(5) Mme Lê Hiên Duc est aujourd’hui âgée de 79 ans. Après une jeunesse engagée dans les activités révolutionnaires, suivie d’une carrière d’enseignante, elle, a, depuis 1984, date de sa retraite, consacré sa vie à la lutte contre la corruption et a reçu, pour cela, en décembre 2007, le prix de l’organisation Transparency International.

(Source: Eglises d'Asie, 19 juillet 2011)