Eglises d'Asie - Membre des Missions Etrangères de Paris, le P. Antoine de Monjour est prêtre dans la paroisse catholique de Nasu, localité de la préfecture de Tochigi. Située à l’intérieur des terres, Nasu est sur un plateau, dans une région montagneuse. La ville a donc subi le tremblement de terre mais n’a pas été touchée par le tsunami. Trois semaines après le séisme, elle est cependant sous la menace d’une contamination radioactive, la centrale de Fukushima étant située à une centaine de kilomètres en direction du nord-est. Par des e-mails en date des 27 et 29 mars, le P. de Monjour témoigne du fait que, si les conditions de vie vont en s’améliorant, celles-ci demeurent précaires :

« Voici un point de la situation de ce 27 mars 2011 à partir du journal de ce matin et des infos glanées dans la journée : un homme de 30 ans environ, habillé plutôt à la mode, marié et père d’un enfant, et dont les parents habitent chez lui. Il est interviewé par un journaliste de la télévision devant un supermarché des zones sinistrées qui fonctionne difficilement et devant lequel il fait la queue depuis des heures. Il explique tranquillement, mais avec les yeux tirés, la fatigue sur le visage, qu’il a parcouru à peu près 10 km à pieds (soit 20 km aller-retour) pour essayer de trouver de l’eau, de la nourriture et de quoi se chauffer... Pas d’essence, donc pas de voiture, pas de vélo et en plus la route qui mène chez lui est très abîmée. Pas d’eau potable, pas d’électricité, quasiment pas de moyens donc pour transporter d’éventuels achats. Pas de travail depuis le séisme et pour les revenus... on verra plus tard car il faut bien vivre. Pour l’heure, on puise dans les réserves. Combien de dizaines de milliers de personnes sont-elles dans ce genre de situation ?

Le manque d’essence dans le Nord-Est à partir de la préfecture de Fukushima persiste : il s’explique entre autres par le fait que la distribution de l’essence se faisait par les ports du Nord. Ceux-ci étant hors d’usage pour le moment, toute la distribution a été bloquée.

Nombre de morts confirmés : 10 489. Nombre de disparus recensés : 19 429. Nombre de réfugiés : 243 534, auxquels il faudrait ajouter environ 50 000 personnes qui sont rentrées chez elles mais manquent encore de tout.

Taux de micro-sieverts enregistré le 26 mars à Nasu : 0,37, soit encore un peu moins que la veille malgré une probable fuite mais sous forme d’eau qui se serait déversée dans la mer... Le vent soufflant du nord-est a été très fort.

Remarque d’un agriculteur de la zone dévastée par le tsunami : 400 ans de travail de la terre perdus ! Le sol a perdu sa couche la plus fertile, de l’eau de mer stagne par endroits, la terre est maintenant imprégnée de sel, sans parler de tout ce que la vague a déposé ici et là sur son passage. Un de mes confrères rappelle que, dans la même région, il y a environ 120 ans, un tsunami géant avait ravagé la même côte et fait plus de 20 000 morts, dont l’un de nos confrères ; il avait 29 ans.

29 mars 2011 : je suis allé visiter le P. Tanaka, curé de la paroisse de Shirakawa dans la préfecture de Fukushima (diocèse de Sendai), que j’avais vu il y a environ dix jours : bien des choses ont changé. D’abord, en traversant la ville, j’ai été heureusement surpris de voir des rues ayant à peu près retrouvé vie. Les magasins sont ouverts pour la plupart, les gens se déplacent et les familles se préparent vaille que vaille à la rentrée scolaire (qui est fixée au 4 avril). On s’affaire un peu partout à réparer les dégâts extérieurs, tant sur la voirie que sur les bâtiments industriels ou commerciaux et chez les particuliers, sauf pour les toits ayant perdu leurs tuiles qui sont protégés par des bâches. Ces toits qui ont perdu leurs tuiles ne sont pas prêts de les récupérer ! Les journaux se sont faits l’écho des principaux fabricants de tuiles du nord du Japon qui ont perdu leurs stocks, voire leurs fours... Les fabricants des autres régions n’ont pas de quoi répondre aux demandes actuelles et on parle de six mois à un an pour honorer toutes ces réparations... Un chrétien de Nasu qui a perdu toutes ses tuiles craint les pluies de l’été et réfléchit à une autre solution pour couvrir sa maison car il ne se voit pas vivre avec des bâches pendant un an !

Le P. Tanaka va bien et semble plus détendu que lors de mon dernier passage : le journal est de nouveau distribué, on commence à trouver de l’essence sans avoir à faire des heures de queue, bien que toutes les stations ne soient pas encore ouvertes. Il se fait du souci pour une desserte de sa paroisse dont l’église et le presbytère-salle des chrétiens ne sont bons qu’à raser ! Les bâtiments penchent et les voisins s’inquiètent... Il faut faire vite mais rien n’est gratuit !

Le P. Tanaka a eu la visite d’une équipe de volontaires du centre de coordination de l’aide aux réfugiés du diocèse de Saitama. Il s’agissait de quatre séminaristes qui venaient voir si le P. Tanaka n’avait besoin de rien et lui apportaient des documents en plusieurs langues pour répondre aux éventuelles demandes (1).

Une famille passe, les Abe : tous sont sains et saufs mais leur maison a été très secouée... Elle devrait être utilisable mais ses habitants n’ont pas le cœur à tout remettre en état à l’intérieur et y vivent en campant plus ou moins chez eux ! La fille aînée, qui travaille dans une usine du coin qui fabrique du matériel médical de précision, est toujours au chômage technique. Elle a bien participé à des équipes de nettoyage pour remettre au maximum en état leur outil de travail mais les machines abîmées ont besoin de techniciens qui sont débordés et de pièces de rechange qui ne vont pas arriver tout de suite… Reprise du travail peut-être en partie début avril mais son responsable d’atelier parle aussi du mois de mai, voire plus tard ! Cette incertitude la bloque chez elle dans l’attente d’un éventuel appel téléphonique. Sa sœur, qui travaillait dans la même entreprise mais en CDD, se retrouve au chômage et cherche donc un travail qu’elle aimerait bien trouver dans la même région... Leur mère est aussi au chômage technique, mais le travail devrait reprendre bientôt dans son entreprise qui fabrique du matériel photographique.

A Shirakawa (ville située à une trentaine de kilomètres au nord de Nasu), il y a trois lieux d’accueil de réfugiés locaux : des gens de la ville ou de la proche banlieue qui ont perdu leur maison et/ou qui sont âgées et isolées et n’osent pas se retrouver seuls dans leur habitat ébranlé et en désordre. La famille Abe a parmi ses voisins une famille de cinq personnes (deux parents et trois enfants), qui ont accueilli chez eux assez vite après le séisme et le tsunami les familles de leurs frères et sœurs qui habitaient dans la préfecture de Miyagi (Sendai), non loin de la mer pour les uns, et à tout juste 20 km de la centrale accidentée de Fukushima pour les autres... Ils se sont retrouvés à quatorze dans la maison. Une sœur a décidé de retourner chez elle, non loin de Fukushima, à cause de la rentrée scolaire dans quelques jours : elle avait participé au nettoyage de l’école où ses deux enfants sont scolarisés et ont leurs amis. Elle ne se voyait pas entreprendre maintenant des démarches pour inscrire ses enfants à Shirakawa et son mari, qui était au chômage technique, vient d’être appelé pour aller rejoindre une autre usine du groupe industriel où il travaille, à… l’autre bout du Japon ! Mais avait-il le choix de refuser ? Il reste encore neuf personnes dans la maison dont une famille qui ne sait que décider quand il n’y a plus ni maison, ni école, ni travail, tout ayant été balayé par le tsunami !

Bref, il faut vivre et s’adapter au mieux aux circonstances. A travers ce que je lis dans les journaux et entends à la télévision, ces cas n’ont rien d’exceptionnel et seraient même plutôt ‘chanceux’....

Le jardin d’enfants attenant à la paroisse a perdu deux enfants et leur mère dans l’effondrement de leur maison. Une cérémonie a été organisée en leur mémoire.

Je reprends mon vélo et passe le long de la nationale n° 4 qui a repris un trafic presque normal. A une exception près, toutes les stations-essence que j’ai vues restaient fermées aux voitures particulières. Une station est réservée aux camions qui partent vers le nord acheminer de l’aide. Une autre indique sur un grand panneau qu’elle est réservée aux véhicules de la compagnie JR, la société de transport ferroviaire japonaise qui a 350 km de voies à contrôler et 940 points à réparer… La JR compte toujours rouvrir le tronçon abîmé (dont un bout passe par ma gare !) d’ici à la mi-avril.

Je passe au supermarché : un peu plus de véhicules que l’autre jour et maintenant tout le rez-de-chaussée est ré-ouvert. La plupart des rayons paraissent pleins mais on s’aperçoit vite qu’ils ont été astucieusement garnis : on trouve le même produit disposé en plusieurs endroits ! Le changement vient de ce que les fruits et légumes du secteur sont en partie de retour, à un prix exorbitant pour certains.... Autre changement : le papier toilette, les mouchoirs en papier et les produits d’entretien sont de nouveau là. En revanche – comme un peu partout dans le nord du Japon selon les journaux –, plus de piles électriques ! Les entreprises et autres commanditaires sont en rupture de stock. Très peu de poissons et de produits de la mer, mais il y a de curieux blocs de viande que personne ne semble acheter : je regarde l’étiquette ; cela vient des Etats-Unis. Le lait demeure rationné. Presque pas d’œufs. Autre changement : le pressing a rouvert sa porte après une vacance forcée de deux semaines.

Nombre de morts confirmés : 11 004
Nombre de disparus recensés : 18 687
Nombre de réfugiés enregistrés: 181 194. C’est le changement le plus significatif : les gens trouvent des solutions petit à petit, même si c’est provisoire, en dehors des circuits pour les réfugiés où ils se sentent assistés...

Taux de micro-sieverts enregistré hier à Nasu : 0,33. Cela baisse partout malgré les fuites sous forme liquide de produits contaminés d’un réacteur de la centrale de Fukushima. Les travaux de mise en sécurité avancent très lentement. Les trois personnes hospitalisées par crainte de contamination après avoir été en contact avec de l’eau qui s’était révélée chargée de césium et de je ne sais plus quoi, ont pu rentrer chez elles.

Le mot d’ordre de ces derniers jours est : ‘Gambaré’, Gambatté’, ‘Gambarô’, ce qui veut dire : ‘Courage !’. Et il est souvent suivi de ‘Japon’, ou du nom d’une ville ou d’une préfecture. Je l’ai même vu affiché sur la fenêtre d’un coiffeur à Shirakawa. »

(1) NDLR : Dans les paroisses catholiques du Japon, outre les Japonais, les fidèles sont constitués pour partie d’immigrants qui ne maîtrisent pas tous la langue japonaise. Originaires d’Amérique latine hispanophone ou lusophone, des Philippines et d’autres pays d’Asie, ils peuvent former une communauté numériquement aussi importante que la communauté japonaise.

(Source: Eglises d'Asie, 1er avril 2011)