Eglises d'Asie, 21 septembre 2010 – La controverse née du renvoi par son université catholique du professeur T. J. Joseph prend une ampleur nationale, amenant le gouvernement du Kerala lui-même à réagir.
Le 4 juillet dernier, T. J. Joseph, titulaire de la chaire universitaire de malayalam (langue officielle du Kerala) au Newman College de Thodupuzha, avait eu la main et une partie du bras droit coupés par des extrémistes musulmans, membres du Popular Front of India (PFI) (1). A cette date, l’enseignant avait déjà été suspendu de ses fonctions par la direction de son établissement, pourtant catholique (2), à la suite de violentes protestations et manifestations d’islamistes qui l’avaient accusé d’avoir blasphémé contre le prophète Mahomet dans l’un des sujets d’examens du second semestre.
Emprisonné en mars 2010, avant d’être remis en liberté en avril, il n’avait, selon ses termes, « jamais pu se justifier des accusations portées contre [lui] », ni obtenir « aucun secours » de la part de ses supérieurs ou collègues, dont aucun n’avait voulu témoigner en sa faveur. Le 18 septembre, l’universitaire souligne dans une interview du The Economic Times, que paradoxalement, c’est l’attaque du 4 juillet qui lui a permis « d’être enfin entendu ». « On m’avait condamné par avance », poursuit-il, réitérant qu’il pardonne à ses agresseurs mais ne peut en revanche « demander pardon pour une faute qu’il n’a pas commise ».
A l’origine du drame: un examen de malayalam dans lequel il était demandé de rétablir la ponctuation d’un texte – d’un auteur au programme de l’université – où un fou dénommé Mohammed dialogue avec Dieu. T. J. Joseph explique qu’il s’agit d’un malentendu: « Mohammed est un nom musulman très commun au Kerala (...). Je n’aurais jamais imaginé qu’il serait interprété comme désignant le Prophète. »
A l’annonce de l’attaque du 4 juillet, pour la première fois depuis la suspension du professeur en mars, des associations s’étaient mobilisées, ainsi que différentes organisations religieuses et partis politiques, du Bharatiya Janata Party (BJP) à la Ligue musulmane ou encore au Conseil épiscopal catholique du Kerala, afin de condamner l’agression. Le monde enseignant, sous l’égide du All Kerala Private College Teachers’Association (AKPCTA), avait également organisé des manifestations de soutien dans tout l’Etat.
Le 1er septembre cependant, le Newman College de Thodupuzha informait T. J. Joseph qu’il était démis de ses fonctions, afin de protéger l’institution à l’égard duquel l’enseignant avait commis une faute en « portant atteinte aux sentiments religieux ».
Les 4 et 5 septembre, une lettre pastorale de Mar George Punnakottil, évêque du diocèse catholique syro-malabar de Kothamangalam, dont dépend le Newman College, était lue dans les 120 paroisses de la circonscription ecclésiastique. Elle condamnait « l’action irresponsable » de l’enseignant et entérinait le renvoi du Pr Joseph par l’établissement catholique pour avoir « volontairement cherché à discréditer l’Eglise et ses institutions ».
La sanction du Newman College et, surtout, la lettre pastorale ont déclenché de fortes réactions d’indignation au Kerala, mais aussi dans d’autres Etats de l’Inde. « C’est une mesure totalement antichrétienne et inhumaine qui a été prise à l’encontre d’un enseignant, par l’Eglise elle-même ! », s’est indigné le P. Varghese Alengaden, coordinateur national du Universal Solidarity Movement Indore, au Madhya Pradesh, avant d’évoquer la possibilité que les responsables de la communauté chrétienne au Kerala « aient eu peur d’affronter les fondamentalistes ».
L’AKPCTA ainsi que des dirigeants d’instituts catholiques, comme le P. Ambrose Pinto, principal du Collège Saint-Joseph à Bangalore, au Karnataka, ont dénoncé une « attaque contre la liberté de pensée et d’expression, [qui sont] les véritables fondements de nos écoles et universités ». Des manifestations de soutien à J. T. Joseph ont été organisées au Kerala: le 6 septembre, des élèves du Pr Joseph ont observé un Black Day; le 11 septembre, le Joint Christian Council (JCC), une organisation œcuménique, a rassemblé quelque 300 manifestants devant l’évêché de Kothamangalam. Les responsables de l’Eglise au Kerala ont « adopté la justice des talibans », a déclaré à cette occasion, Felix J. Pullooden, secrétaire général du JCC. Quant au Forum des religions pour la justice et la paix, il a souligné, le 19 septembre, le « dangereux précédent » que représentait la décision du renvoi de l’enseignant en se « soumettant à la loi des fondamentalistes ».
Le Pr Joseph, après avoir présenté ses excuses auprès de son établissement, de la hiérarchie catholique, ainsi que des personnes « qu’il aurait offensées involontairement », a alors envoyé un courrier à sa direction demandant à être réintégré, au moins « par charité », rappelant qu’il était l’unique soutien de sa famille et n’avait jamais fait l’objet d’aucune plainte en vingt-cinq années d’enseignement. Mais le Newman College est resté sur ses positions, ainsi que le diocèse qui a renouvelé son appui à l’établissement, par l’intermédiaire du P. Paul Thelekat, porte-parole de l’Eglise catholique syro-malabare au Kerala: « En sanctionnant le professeur, l’Eglise a délivré un message clair à toute la population, [celui] qu’il n’était permis à aucun individu, même chrétien, de blesser les sentiments [religieux] d’aucune communauté » (3).
La Mahatma University à laquelle est rattaché le Newman College réagissait à son tour le 10 septembre, demandant à l’établissement catholique de réintégrer le Pr Joseph et accusant l’école de ne pas avoir respecté la procédure légale en expulsant un enseignant sans son autorisation.
Mais le soutien le plus inattendu au professeur de malayalam est sans aucun doute celui exprimé par le gouvernement, communiste, du Kerala. Le ministre de l’Education, M. A. Baby, qui avait condamné l’agression, a déclaré ainsi le 12 septembre dans les colonnes du Times of India que le Newman College devait rétablir l’enseignant dans ses fonctions. V. R. Krishna Iyer, ministre de la Justice, a pour sa part violemment fustigé la direction de l’école, déclarant que la nation entière avait indignée de l’offense faite au Pr Joseph par les radicaux, à laquelle s’était ajouté un « homicide moral » de la part d’un établissement chrétien.
L’« affaire T. J. Joseph » fait l’objet d’un suivi attentif des médias et dépasse aujourd’hui les frontières du Kerala. Elle déchaîne les passions, autour du débat, récurrent dans le sous-continent, de la tolérance religieuse et du fonctionnement des institutions (4).
(1) Voir EDA 533.
(2) Le très réputé Newman College de Thodupuzha (nommé ainsi en l’honneur du cardinal Newman) a été fondé en 1964 par le diocèse catholique syro-malabar de Kothamangalam.
(3) Press Trust of India, 7 septembre 2010.
(4) istreamkeralam TV, Press Trust of India, Ucanews, Times of India
(Source: Eglises d'Asie, 21 septembre 2010)
Le 4 juillet dernier, T. J. Joseph, titulaire de la chaire universitaire de malayalam (langue officielle du Kerala) au Newman College de Thodupuzha, avait eu la main et une partie du bras droit coupés par des extrémistes musulmans, membres du Popular Front of India (PFI) (1). A cette date, l’enseignant avait déjà été suspendu de ses fonctions par la direction de son établissement, pourtant catholique (2), à la suite de violentes protestations et manifestations d’islamistes qui l’avaient accusé d’avoir blasphémé contre le prophète Mahomet dans l’un des sujets d’examens du second semestre.
Emprisonné en mars 2010, avant d’être remis en liberté en avril, il n’avait, selon ses termes, « jamais pu se justifier des accusations portées contre [lui] », ni obtenir « aucun secours » de la part de ses supérieurs ou collègues, dont aucun n’avait voulu témoigner en sa faveur. Le 18 septembre, l’universitaire souligne dans une interview du The Economic Times, que paradoxalement, c’est l’attaque du 4 juillet qui lui a permis « d’être enfin entendu ». « On m’avait condamné par avance », poursuit-il, réitérant qu’il pardonne à ses agresseurs mais ne peut en revanche « demander pardon pour une faute qu’il n’a pas commise ».
A l’origine du drame: un examen de malayalam dans lequel il était demandé de rétablir la ponctuation d’un texte – d’un auteur au programme de l’université – où un fou dénommé Mohammed dialogue avec Dieu. T. J. Joseph explique qu’il s’agit d’un malentendu: « Mohammed est un nom musulman très commun au Kerala (...). Je n’aurais jamais imaginé qu’il serait interprété comme désignant le Prophète. »
A l’annonce de l’attaque du 4 juillet, pour la première fois depuis la suspension du professeur en mars, des associations s’étaient mobilisées, ainsi que différentes organisations religieuses et partis politiques, du Bharatiya Janata Party (BJP) à la Ligue musulmane ou encore au Conseil épiscopal catholique du Kerala, afin de condamner l’agression. Le monde enseignant, sous l’égide du All Kerala Private College Teachers’Association (AKPCTA), avait également organisé des manifestations de soutien dans tout l’Etat.
Le 1er septembre cependant, le Newman College de Thodupuzha informait T. J. Joseph qu’il était démis de ses fonctions, afin de protéger l’institution à l’égard duquel l’enseignant avait commis une faute en « portant atteinte aux sentiments religieux ».
Les 4 et 5 septembre, une lettre pastorale de Mar George Punnakottil, évêque du diocèse catholique syro-malabar de Kothamangalam, dont dépend le Newman College, était lue dans les 120 paroisses de la circonscription ecclésiastique. Elle condamnait « l’action irresponsable » de l’enseignant et entérinait le renvoi du Pr Joseph par l’établissement catholique pour avoir « volontairement cherché à discréditer l’Eglise et ses institutions ».
La sanction du Newman College et, surtout, la lettre pastorale ont déclenché de fortes réactions d’indignation au Kerala, mais aussi dans d’autres Etats de l’Inde. « C’est une mesure totalement antichrétienne et inhumaine qui a été prise à l’encontre d’un enseignant, par l’Eglise elle-même ! », s’est indigné le P. Varghese Alengaden, coordinateur national du Universal Solidarity Movement Indore, au Madhya Pradesh, avant d’évoquer la possibilité que les responsables de la communauté chrétienne au Kerala « aient eu peur d’affronter les fondamentalistes ».
L’AKPCTA ainsi que des dirigeants d’instituts catholiques, comme le P. Ambrose Pinto, principal du Collège Saint-Joseph à Bangalore, au Karnataka, ont dénoncé une « attaque contre la liberté de pensée et d’expression, [qui sont] les véritables fondements de nos écoles et universités ». Des manifestations de soutien à J. T. Joseph ont été organisées au Kerala: le 6 septembre, des élèves du Pr Joseph ont observé un Black Day; le 11 septembre, le Joint Christian Council (JCC), une organisation œcuménique, a rassemblé quelque 300 manifestants devant l’évêché de Kothamangalam. Les responsables de l’Eglise au Kerala ont « adopté la justice des talibans », a déclaré à cette occasion, Felix J. Pullooden, secrétaire général du JCC. Quant au Forum des religions pour la justice et la paix, il a souligné, le 19 septembre, le « dangereux précédent » que représentait la décision du renvoi de l’enseignant en se « soumettant à la loi des fondamentalistes ».
Le Pr Joseph, après avoir présenté ses excuses auprès de son établissement, de la hiérarchie catholique, ainsi que des personnes « qu’il aurait offensées involontairement », a alors envoyé un courrier à sa direction demandant à être réintégré, au moins « par charité », rappelant qu’il était l’unique soutien de sa famille et n’avait jamais fait l’objet d’aucune plainte en vingt-cinq années d’enseignement. Mais le Newman College est resté sur ses positions, ainsi que le diocèse qui a renouvelé son appui à l’établissement, par l’intermédiaire du P. Paul Thelekat, porte-parole de l’Eglise catholique syro-malabare au Kerala: « En sanctionnant le professeur, l’Eglise a délivré un message clair à toute la population, [celui] qu’il n’était permis à aucun individu, même chrétien, de blesser les sentiments [religieux] d’aucune communauté » (3).
La Mahatma University à laquelle est rattaché le Newman College réagissait à son tour le 10 septembre, demandant à l’établissement catholique de réintégrer le Pr Joseph et accusant l’école de ne pas avoir respecté la procédure légale en expulsant un enseignant sans son autorisation.
Mais le soutien le plus inattendu au professeur de malayalam est sans aucun doute celui exprimé par le gouvernement, communiste, du Kerala. Le ministre de l’Education, M. A. Baby, qui avait condamné l’agression, a déclaré ainsi le 12 septembre dans les colonnes du Times of India que le Newman College devait rétablir l’enseignant dans ses fonctions. V. R. Krishna Iyer, ministre de la Justice, a pour sa part violemment fustigé la direction de l’école, déclarant que la nation entière avait indignée de l’offense faite au Pr Joseph par les radicaux, à laquelle s’était ajouté un « homicide moral » de la part d’un établissement chrétien.
L’« affaire T. J. Joseph » fait l’objet d’un suivi attentif des médias et dépasse aujourd’hui les frontières du Kerala. Elle déchaîne les passions, autour du débat, récurrent dans le sous-continent, de la tolérance religieuse et du fonctionnement des institutions (4).
(1) Voir EDA 533.
(2) Le très réputé Newman College de Thodupuzha (nommé ainsi en l’honneur du cardinal Newman) a été fondé en 1964 par le diocèse catholique syro-malabar de Kothamangalam.
(3) Press Trust of India, 7 septembre 2010.
(4) istreamkeralam TV, Press Trust of India, Ucanews, Times of India
(Source: Eglises d'Asie, 21 septembre 2010)