Une interview de Mgr Joseph Nguyên Chi Linh, évêque de Thanh Hoa
et vice-président de la Conférence des évêques catholiques du Vietnam


De passage à Paris, venant de Rome où il a participé au récent synode des évêques sur la Parole de Dieu, Mgr Joseph Nguyên Chi Linh, qui a été élu l’année dernière vice-président de la Conférence épiscopale, a bien voulu répondre aux questions que lui a posées la rédaction d’Eglises d’Asie. Elles concernent son diocèse de Thanh Hoa, ainsi que l’actuel conflit de la communauté catholique et des autorités civiles à propos des terrains d’Eglise.

Eglises d’Asie: Revenu au Vietnam, après un doctorat à l’Institut catholique de Paris, vous êtes rapidement devenu évêque d’un diocèse du nord, Thanh Hoa, d’où vous étiez originaire, mais que vous connaissiez peu avant qu’il vous soit confié. L’année dernière, vous avez été élu vice-président de la Conférence épiscopale. Monseigneur, pourriez-vous nous confier quels sont les sentiments que vous éprouvez lorsque vous vous retournez vers ces cinq premières années d’épiscopat ?

Mgr Joseph Nguyên Chi Linh: Quand je réfléchis à ces cinq années de service, en tant qu’évêque, dans le diocèse de Thanh Hoa, je suis résolument optimiste. Lorsque que j’ai commencé mon travail, j’ai éprouvé une certaine inquiétude. Je n’étais encore familier avec personne dans le diocèse, bien que j’y sois né. Ma famille avait émigré au sud en 1954. Après une longue période vécue sous le régime socialiste, de nombreux problèmes se posaient au Nord-Vietnam et, tout particulièrement, dans la province de Thanh Hoa, sur le plan politique, social et religieux. J’avais entendu de nombreux avis sur la situation à Thanh Hoa, généralement plus négatifs et pessimistes que positifs et optimistes. On m’avait dit, par exemple, que les habitants de Thanh Hoa étaient très pauvres et que les catholiques étaient non seulement pauvres mais aussi plus illettrés que les non-chrétiens.

Tout cela, au début, m’avait quelque peu, fait perdre confiance en moi-même. Cependant, après un certain temps, je me suis aperçu que mon inquiétude initiale avait disparu. Je me suis réjoui de constater que j’aimais mon diocèse chaque jour davantage et que ses aspects positifs étaient, en fait, beaucoup plus importants que ses côtés négatifs. J’ai ensuite continué à penser ainsi. Du point de vue humain, j’ai ressenti une certaine attirance pour les traits de caractère spécifiques aux Nord-Vietnamiens. Ils sont particulièrement attentifs aux relations interpersonnelles dans la famille comme dans la société. J’ai aussi constaté que les fidèles du Nord faisaient preuve d’un sentiment religieux exemplaire, un sentiment qui les rendait désireux de servir le bien de l’Eglise et celui de leur diocèse. C’est là un des éléments qui a grandement favorisé mon travail pastoral. Bien que mon diocèse soit pauvre et en butte à de nombreuses difficultés et épreuves, lorsque je pense à la situation générale qui est la sienne aujourd’hui, je ne suis plus pessimiste comme au début.

Pour nos lecteurs français, vous serait-il possible de faire un portrait sociologique et spirituel de votre diocèse ?

Le diocèse de Thanh Hoa appartient à une région relativement pauvre par rapport à la partie nord du pays et au pays tout entier. On n’y trouve aucune ressource naturelle et les habitants y vivent d’une unique activité, la culture du riz. Les revenus sont très peu élevés. Aujourd’hui, nous devons faire face à l’exode des jeunes, qui quittent leur pays vers les grandes villes du sud pour y trouver un emploi et gagner leur vie. On ne peut donner de chiffres précis, mais nous estimons que, chaque année, entre 5 et 10 000 jeunes gens de la province de Thanh Hoa partent ainsi.

Au point de vue spirituel, j’ai constaté que nos chrétiens, quelle que soit leur situation, comme des affamés, placent toute leur confiance dans la religion, dans le Seigneur. Ils perpétuent des traditions qui leur viennent du passé, et ont traversé les innombrables épreuves et aléas de l’Histoire. On peut citer celle qui consiste à étudier les prières dans la maison des notables de la paroisse, une tradition qui donne l’occasion aux illettrés d’être initiés à la doctrine chrétienne. Ces chrétiens ont aussi soigneusement conservé la tradition de participer à la messe dominicale et aux messes quotidiennes. Les chrétiens du Nord aiment tout particulièrement les grands rassemblements festifs. Chaque fois qu’une grande fête est célébrée dans le diocèse, elle attire des milliers, des dizaines de milliers de personnes, selon son importance. J’ai remarqué aussi que les non-chrétiens de la région font preuve d’une sympathie particulière pour les chrétiens, en particulier lors des cérémonies de funérailles, ou encore de mariage. A Noël, presque tous les non-chrétiens, par sympathie ou attirance personnelle, vont remplir les églises. Dans la ville de Thanh Hoa, il y a seulement 1700 catholiques, mais, dans la nuit de Noël, le nombre de participants s’élève à 30 ou 40 000. La très grande majorité d’entre eux sont donc des non-chrétiens. Nous sommes ravis de partager avec eux la joyeuse nouvelle de Noël, celle de Jésus Christ venu pour eux en ce monde.

Un certain nombre de vos déclarations et divers témoignages nous ont informés de la solidarité que vous avez manifestée pour les paysans pauvres qui constituent la majorité du peuple de Dieu dans votre diocèse, en particulier à l’occasion des récents typhons et tempêtes tropicales qui ont ravagé la province de Thanh Hoa. Voudriez-vous, nous parler d’eux et de l’action que le diocèse mène en leur faveur ?

Thanh Hoa est une région souvent ravagée par les fléaux naturels. A peu près tous les ans, nous devons subir l’assaut des typhons et tempêtes venus de l’océan Pacifique. Leur gravité varie selon les années. En 2006, le typhon Lekima a frappé Thanh Hoa et causé des dégâts particulièrement importants sur son territoire. Lors de ces fléaux naturels, j’ai ressenti des sentiments très forts, car ce fut pour moi l’occasion de partager la grande souffrance du peuple de Thanh Hoa. J’ai pu alors mesurer la profondeur du cœur et les sentiments de solidarité de la population de Thanh Hoa en général, et de nos compatriotes catholiques en particulier.

Pendant ces épreuves, j’ai été extrêmement encouragé par l’assistance que nous a prodiguée l’Eglise catholique du monde entier, et surtout la diaspora vietnamienne. J’aime beaucoup l’idée que si de telles catastrophes naturelles se produisent, c’est pour éduquer le peuple chrétien de notre diocèse à la générosité et à la solidarité. Pour le moment, nous n’avons pas, dans le diocèse, d’organismes capables de mener des activités efficaces et de grande envergure, mais nous cherchons à renforcer le bureau de bienfaisance et d’action caritative de notre diocèse. Nous avons déjà créé une caisse de secours d’urgence pour les victimes des fléaux naturels. Ainsi, si une catastrophe naturelle se produit, nous pourrons, par nos propres moyens, dispenser les premiers secours.

La formation du peuple de Dieu dans son ensemble est une de vos préoccupations. Pourriez-vous nous indiquer comment vous la mettez en œuvre, aussi bien en ce qui concerne la préparation des jeunes gens au sacerdoce, que chez les prêtres déjà ordonnés, chez les religieux, les religieuses et les laïcs ?

Dans mon action pastorale, incontestablement, la priorité est donnée à la formation du personnel d’Eglise. Comme le savent les lecteurs d’Eglises d’Asie, à la suite de très nombreuses années de guerre et de la difficulté des temps, notre diocèse a tout perdu. Les séminaires ont fermé leurs portes. Les écoles catholiques ont été nationalisées ou confisquées. Le nombre de prêtres est resté le même. Il nous a donc fallu tout reprendre à zéro.

Notre effort devait se porter non seulement sur le nombre de prêtres mais aussi sur la qualité de ces nouveaux prêtres. C’est pourquoi, j’ai porté une très grande attention à la formation du personnel de mon diocèse. Au cours des années de guerre, et pendant une période difficile, dans de nombreuses paroisses, les fidèles n’avaient pas suivi de cours de catéchisme. Le niveau de formation de nos prêtres, même si ceux-ci avaient passé un certain temps au séminaire, ne correspondait pas à celui que nous souhaitions. J’ai donc considéré qu’il était urgent d’envoyer des séminaristes, des prêtres, des religieuses à l’étranger pour y être formés avec plus de soin. Jusqu’à présent, dans notre pays, nous manquons encore cruellement de moyens de formation. Il est nécessaire que la nouvelle génération acquière des bases solides en théologie, en philosophie ainsi que dans les matières et les disciplines religieuses. Cette génération garantira l’avenir intellectuel et doctrinal de notre diocèse.

A l’heure actuelle, deux congrégations religieuses travaillent dans mon diocèse: les Amantes de la Croix et les religieuses de Saint-Paul de Chartres. Les communautés de franciscains et de religieuses de Notre-Dame des missions qui travaillaient à Thanh Hoa avant 1954 ont quitté le diocèse à cette époque. Nous souhaitons vivement l’arrivée d’autres congrégations pour qu’elles donnent un nouvel élan au développement de notre diocèse et partagent le souci de la croissance de la vigne du Seigneur. Je ne sais pas quand ce souhait se réalisera. Mais nous tenons les portes ouvertes et invitons les congrégations religieuses aussi bien masculines que féminines à venir travailler dans notre diocèse.

Il est difficile de parler de l’Eglise du Vietnam, sans parler de ses rapports avec l’Etat. Pour le diocèse de Thanh Hoa, comment peut-on aujourd’hui qualifier ces rapports dans le domaine religieux mais aussi sur la scène sociale ?

Dans tous nos rapports avec les autorités locales de Thanh Hoa, naturellement, nous devons nous plier aux dispositions de la politique nationale du pays. Mais sur le plan des rapports humains, nous tâchons de devenir des participants actifs, même si nous gardons fermement nos positions personnelles en matière de politique et de religion. Nous ne sommes, bien entendu, pas entièrement satisfaits. Cependant, nous avons l’impression que les deux parties (le pouvoir local et nous-mêmes) entretiennent entre elles des relations assez détendues et conviviales, à l’exception de certaines frictions inévitables dues à la politique générale.

En ce qui concerne la formation des séminaristes, je remarque que, même si nous ne jouissons pas d’une entière liberté, nos possibilités se sont élargies. Autrefois, le recrutement des candidats pour le séminaire constituait une tâche particulièrement compliquée et nous supportions difficilement de voir refusés par les autorités certains de ceux que nous avions choisis. Aujourd’hui, les anciennes dispositions législatives existent encore mais on nous fait davantage confiance et nous rencontrons beaucoup moins de difficultés dans nos choix. Désormais, les ordinations, selon les dispositions de la récente « Ordonnance sur la croyance et la religion », sont devenues des affaires intérieures à l’Eglise et, sur ce point, on ne peut plus nous faire de difficultés. Selon cette même ordonnance, les nominations de prêtres doivent être autorisées ou approuvées par les autorités du district. Cependant, jusqu’ici, j’ai nommé et déplacé de nombreux prêtres sans rencontrer de refus ou de réaction quelconque.

Sur le plan de l’organisation de la pastorale, dans la pratique, nous faisons à peu près ce que nous voulons, bien que la réglementation ancienne reste toujours en vigueur. Mais la tension d’autrefois a disparu. Le fait de vivre depuis longtemps ensemble nous a rendu familiers. Nous-mêmes ressentons le besoin d’avoir des relations sympathiques et pacifiques à l’intérieur de la province, dans la même région. C’est d’ailleurs là ma position personnelle. Je considère mon diocèse ainsi que la société comme une grande famille dont les membres doivent avoir entre eux des relations étroites. Notre problème n’est pas idéologique. Nous devons être les témoins de l’amour et de l’unité. C’est pourquoi nous nous efforçons de faire la différence entre la position politique et les rapports sociaux. Dans le domaine social, nous devons nous comporter en êtres humains. Sur le plan politique, nous devons adopter une position précise, en rapport avec notre attitude sociale et religieuse.

Il faut aussi parler des autres droits que l’on a l’habitude de citer. La liberté d’expression publique reste encore aujourd’hui monopole du Parti communiste. Dans le privé, chacun dit ce qu’il veut. Mais les médias, dans leur ensemble, ne sont que des moyens à la disposition du pouvoir et sont organisés par lui. Les journaux privés n’ont pas encore la permission d’exister, à l’exception des journaux en accord avec les points de vue du gouvernement. Un journal privé qui a la permission de paraître ne pourra jamais s’opposer à la ligne politique du Parti communiste et de l’État. Si l’on comprend la liberté d’expression selon la conception occidentale, il faut reconnaître que celle-ci n’existe pas au Vietnam. Cependant, on ne peut nier que les Vietnamiens aujourd’hui s’expriment plus librement, même s’ils n’ont pas encore le droit d’avoir des journaux privés et indépendants.

Pour ce qui concerne l’action sociale, l’Eglise n’a pas encore le droit d’organiser des activités comme il en existait autrefois. Sous l’ancien régime, l’Eglise du Vietnam avait le droit d’ouvrir des écoles, d’organiser des œuvres caritatives comme les orphelinats, les établissements pour handicapés, etc. Aujourd’hui, seuls les jardins d’enfants, les écoles maternelles, les instituts pour handicapés nous sont autorisés.

Eglises d’Asie a suivi jour par jour les événements quelquefois dramatiques du conflit qui oppose aujourd’hui la communauté catholique de Hanoi aux autorités civiles. Sur la question de la restitution des terrains de l’ancienne Délégation apostolique et de la paroisse de Thai Ha, vous avez pris ouvertement parti en venant présider une eucharistie à Thai Ha et apporter votre soutien aux manifestations de prière des fidèles. A quoi attribuer cette mobilisation de l’ensemble des catholiques du Nord ? Y a-t-il des affaires du même type dans d’autres diocèses du Vietnam ?

Nombreuses sont les questions sensibles au Vietnam. Cependant, celle qui a éveillé le plus d’échos, y compris à l’étranger, est la double affaire de l’ancienne Délégation apostolique et de la paroisse de Thai Ha à Hanoi. En fin de compte, le gouvernement est intervenu de façon brutale et, on peut le dire, arbitraire. Du côté des fidèles du diocèse de Hanoi comme de l’Eglise au Vietnam, la solution donnée à ce problème par le gouvernement n’a pas du tout été satisfaisante.

Mon opinion personnelle est qu’il s’agit là d’une question très épineuse, pour les deux parties en conflit. Pour le gouvernement, il s’agit d’un problème national qui dépasse largement le monde catholique. Il se pose dans les campagnes, où, en de nombreux endroits, les réclamations de terrains ont donné lieu à des plaintes, des querelles et conflits. Toutes les religions ont vu presque tous leurs établissements confisqués pour y établir des services sociaux. Si ces demandes de restitution de terrains devenaient un mouvement général, l’Etat se trouverait dans l’embarras. Si l’on dresse l’inventaire des biens qu’il devra restituer, il faudra commencer par ceux qui ont été confisqués aux propriétaires terriens au cours de la réforme agraire de la deuxième moitié des années 1950. Dans cette liste, il faudra aussi inscrire tous les biens confisqués à l’ancien régime du Sud-Vietnam qui n’existe plus, les propriétés ayant appartenu aux diverses communautés religieuses, aux organisations étrangères, l’ensemble des biens de nos compatriotes aujourd’hui à l’étranger, etc. Il est certain que le gouvernement ne peut procéder à une telle restitution d’un seul coup.

Mais, en réalité, ce qui envenime cette question, ce qui a fait éclater les affaires de l’ancienne Délégation apostolique et de la paroisse de Thai Ha, c’est la corruption, une corruption dont la population a eu des preuves convaincantes. Tous les hôpitaux et les écoles de l’Eglise ont été confisqués. L’Eglise a-t-elle remis en question cette confiscation ? Elle s’est contentée d’attendre. Il y a eu des revendications parce que, très souvent, la confiscation a été réalisée en cachette, sans aucun fondement juridique. Plus encore, en beaucoup de lieux, il y a eu corruption des cadres. On a partagé le terrain pour le vendre ou obtenir de l’argent. Ainsi, si l’ancienne Délégation apostolique avait été transformée en école, par exemple, personne ne l’aurait réclamé, comme c’est le cas en beaucoup d’autres endroits. La Délégation apostolique était utilisée à des fins autres que celles qui auraient normalement dues être les siennes. Les catholiques se sont irrités de voir, en ce lieu, une discothèque, une boutique de soupe tonkinoise, un parking – autant de commerces qui n’ont rien à voir avec le service des vrais intérêts de la société.

Il en est de même pour la paroisse de Thai Ha. Les catholiques ont des documents montrant que la propriété de la paroisse s’étendait sur six hectares. Après confiscation, il ne reste plus que 2 000 m². Si, sur la parcelle de terrain réclamée, il y avait eu par exemple une école, personne n’aurait émis une quelconque réclamation. Mais ce terrain n’a pas cessé d’être l’objet d’opérations à but lucratif. C’est là qu’il faut voir la principale cause du mouvement de revendication des catholiques. Nous, les évêques, nous ne réclamons rien. Individuellement, nous n’avons rien à gagner. Devant cette situation inacceptable, ce sont d’abord les prêtres, les fidèles dans leur quasi-totalité, qui sont venus exposer leurs sentiments à leur pasteur. Voilà à peu près quelle a été la position des évêques du Vietnam. Nous n’avons pas lancé un mouvement de revendication des terrains. Mais, puisque le peuple chrétien le voulait, nous nous trouvions devant un choix à faire. Si le peuple chrétien menait des actions inacceptables, naturellement, nous ne pourrions les approuver. En revanche, si le peuple chrétien poursuit des aspirations légitimes, non satisfaites par le gouvernement, nous devons le soutenir dans la réalisation de ces aspirations. C’est ainsi que l’Eglise s’est impliquée dans ces affaires.

Par ailleurs, en raison de l’essor de la foi, les catholiques et leurs prêtres deviennent, chaque jour, plus nombreux, ce dont nous nous réjouissons grandement. Ce développement de la population catholique exige un développement parallèle des établissements capables de les accueillir. Il y a 20 ou 30 ans, le nombre de prêtres était de quelques centaines. Il est aujourd’hui de 2 500. Dans les diocèses, le nombre de fidèles a augmenté dans d’égales proportions. Le diocèse de Xuan Lôc ne va pas tarder à atteindre le million de catholiques. Enfin, le service du peuple vietnamien exige aussi que nous aménagions beaucoup de nouveaux établissements: des écoles, des cantines, etc. Selon les dispositions législatives actuelles, si nous avons des besoins, nous sommes invités à faire une requête auprès des autorités. Dans la pratique, ce n’est pas aussi simple. La plupart du temps, ces requêtes ne sont pas facilement satisfaites.

A mon avis, il y a des principes à ne pas oublier. Il faut dialoguer avec patience en se référant à la justice et à la conscience, comme principes communs aux deux parties. Aussi longtemps que les deux parties n’auront pas un point de vue commun sur la justice, il n’y aura pas de dialogue possible. C’est pourquoi il est impossible de savoir quand ce type d’affaire pourra être réglé. Nous espérons que le conflit actuel n’est que provisoire. Plus il se prolonge, plus il laisse des marques dans les esprits des deux parties, à savoir les autorités civiles et l’Eglise catholique, plus particulièrement le diocèse de Hanoi et la communauté rédemptoriste de la paroisse de Thai Ha.

Il ne faut pas croire que les affrontements qui ont eu lieu à Hanoi ont épargné les autres diocèses. A Thanh Hoa, des incidents violents ont aussi éclaté. Ils ont été, par certains aspects, plus graves que ceux de Hanoi. Mais, contrairement à ceux-ci, ils n’ont pas été diffusés sur Internet, ni révélés par les médias officiels.

Les autorités redoutent que ce genre d’incident devienne habituel. Si elles restituaient l’ancienne Délégation apostolique ou le terrain de Thai Ha, en de nombreux endroits, la population dirait: « Voilà ce qu’il faut faire pour récupérer nos terres ! », ce qui mettrait le gouvernement dans l’impasse.

Quant à moi, je ne suis pas pessimiste et je n’accuse personne. Je voudrais simplement qu’un jour, au lieu d’entrer en conflit avec la partie adverse, le gouvernement réfléchisse avec elle en fonction du bien commun de la société et des intérêts des sociétés privées et des organisations religieuses, de telle sorte que les uns et les autres s’accordent. Mais, pour cela, il faut bien entendu avoir des points de convergence.

Parmi les questions à débattre, se trouve en bonne place celle de la propriété privée. Au Vietnam, en principe, le gouvernement considère toujours que la terre est la propriété du peuple tout entier. C’est une très belle chose en théorie ! Mais la réalité est autrement plus complexe. Les cadres n’ont que le mot « peuple » à la bouche, mais, en fait, ils mettent en œuvre cette politique de la propriété du peuple tout entier d’une manière très contestable; en certains endroits, on vend le terrain. La population perd confiance en ceux qui appliquent ainsi la loi. Il est facile de déclarer que la terre appartient au peuple tout entier, mais, de toute façon, tout le monde veut pouvoir jouir de la propriété privée.

Pour nous les catholiques, un point reste délicat. Il n’est pas fait de distinction entre un différend portant sur des terrains et une lutte politique. Ainsi, nos revendications concernant des terrains sont assimilées à une révolte. C’est une réaction qui nous attriste. Dans cette lutte pour récupérer des terres, les catholiques ont eu pour seul objectif la justice. Les autorités ont pu penser qu’il s’agissait là d’une insurrection, d’une tentative de renversement du régime. Il ne convient pas d’adopter un point de vue aussi caricatural.

(Source: Eglises d'Asie, 6 novembre 2008)