Cette lettre ouverte est d’abord une réponse à la décision des autorités civiles du district de Dak Ha (province de Kontum) de refuser d’autoriser l’évêché de Kontum à organiser la célébration de Pâques dans le village de Turia Yôp. On sait qu’il y a peu de temps (1), un jeune prêtre a été agressé et grièvement blessé alors qu’il revenait de ce village où il avait célébré les obsèques d’une dame récemment décédée. Dans sa lettre, l’évêque évoque ...

... cette grave affaire mais ne s’y appesantit pas. Il annonce que, pour le bien des milliers de croyants de la région, il passera outre l’interdiction des autorités. Il s’étonne de l’hostilité toute particulière que les responsables de ce district nourrissent à l’égard de toutes les expressions publiques du christianisme et cela depuis près de quarante ans. L’évêque réfute sans peine les diverses raisons invoquées par les autorités pour interdire aux prêtres de venir célébrer sur les lieux. Il affirme même que les véritables fauteurs de trouble, les véritables opposants au régime ne sont pas les fidèles. Ce sont les auteurs de cette violation de la liberté religieuse qui, sans le savoir, sabotent leur propre régime.

Au-delà de la plainte particulière concernant ce district de son diocèse, l’évêque de Kontum développe ici une belle plaidoirie pour la liberté religieuse. En particulier, on trouve dans cette lettre une argumentation intéressante et subtile qui démontre le manque de sérieux des raisons justifiant l’interdiction de la pratique religieuse et met à nu les motivations profondes de la politique antireligieuse appliquée dans la région par l’Etat vietnamien.

Ce n’est pas la première fois que l’évêque de Kontum s’exprime publiquement sur des questions locales ou encore sur des sujets concernant l’Eglise du Vietnam tout entière. Dans une lettre envoyée à l’évêque de Can Tho, il a récemment proposé une solution au problème des biens d’Eglise spoliés par l’Etat. A plusieurs reprises, il a dénoncé des manquements locaux à la liberté religieuse. En novembre 2010, dans une lettre adressée aux fidèles de son diocèse, il avait relaté les difficultés rencontrées par lui auprès des autorités locales lors d’une visite pastorale effectuée, le 7 novembre 2010, dans trois régions isolées de son diocèse.

La présente lettre, datée du 4 avril 2012, a été mise en ligne sur le site Vietcatholic News, le 8 avril dernier. Le texte vietnamien a été traduit en français par les soins de la rédaction d'Eglises d’Asie.

Evêché de Kontum, le 4 avril 2012

Lettre respectueusement adressée à
M. Truong Tân Sang, président de la République socialiste du Vietnam
M. Nguyên Tân Dung, Premier ministre
M. Nguyên Sinh Hung, président de l’Assemblée nationale

Messieurs,

Le 3 avril 2012, l’évêché de Kontum a reçu la lettre N° 269 UBND NC, envoyée par le district Dak Ha. Il y est spécifié le refus d’autoriser la célébration de Pâques à Turia Yôp, dans la commune de Dak Hring, district de Dak Ha, province de Kontum. C’est là que, le 23 février 2012, après avoir célébré les obsèques d’une dame récemment décédée, le P. Nguyên Quang Hoa a été agressé et grièvement blessé.

Nous prions les autorités de Kontum de bien vouloir faire parvenir aux plus hauts dirigeants du pays, à travers cette lettre ouverte, les aspirations de plusieurs milliers de croyants habitant cette région, qui ne bénéficient pas du droit à la liberté religieuse depuis des dizaines d’années (1972-2012). Ce rapport adressé aux plus hauts dirigeants du pays ne vise pas à obtenir d’eux une grâce ou une aide, mais seulement à accomplir mon devoir qui est de rendre compte.

La liberté religieuse est un droit fondamental et sacré. La liberté religieuse n’est pas une faveur que l’on accorde, mais un droit fondamental et sacré. Dans des rencontres, par des échanges et le dialogue, nous avons successivement été en contact les instances du hameau, de la commune, du district et de la province. Nous avons suivi ensuite le chemin inverse. Aujourd’hui, nous nous adressons autorités centrales afin d’accomplir pleinement notre devoir. Au niveau de la province, de la commune, du hameau, nous avons eu l’impression qu’il était possible de dialoguer avec les responsables, comme par exemple le secrétaire provincial du Parti, M. Ha Ban, ou le président du Comité populaire provincial, M. Nguyên Van Hung, ou encore le directeur de la Sécurité publique, le général Duy Hai. Mais au niveau du district de Dak Ha, et tout particulièrement avec le secrétaire du Parti, M. Hanh, tout est extrêmement difficile !

Voilà plusieurs dizaines d’années (1972-2012) que chez les catholiques, le district de Dak Ha est considéré comme le district où la religion est le plus détestée. La persécution des croyants y est tellement poussée que notre vertueux et vénérable ancien évêque, Mgr Pierre Trân Thanh Chung, a l’habitude de dire : « On n’est même pas autorisé à y aller… ». Ce sont les cadres qui ont donné au groupe de Ha Mông (1), créé par quelques catéchistes, une ampleur qu’il n’avait pas en l’appelant « culte pervers de Ha Mông ». Ce groupe n’est au fond qu’une des conséquences de la politique d’interdiction de la pratique religieuse dans le district de Dak Ha.

Pendant plus de trente ans (1972-2004), nos frères chrétiens de Ha Mông ont subi « la politique des trois refus », à savoir pas de prêtre, pas d’église, pas de sacrement ! Une politique qui a duré jusqu’à 2004, date à laquelle, après des années de lutte et de dialogue, nous avons eu la permission de construire la première église, une église minuscule de 5 m sur 10 m, située à Kon Trang Hong Hloi. Le jour de l’inauguration, 95 % des fidèles n’ont pu rentrer et ont été obligés de se tenir à l’extérieur sur un terrain appartenant à l’Etat. Les autorités n’avaient, en effet, accordé aux catholiques qu’une bande de terrain d’une largeur de 10 m entourant l’église. « La liberté religieuse nous est ainsi mesurée ! » « Tout pour l’intérêt de la population » « Tout pour l’intérêt du peuple ! »

Le 31 mars 2012 lors d’une visite du général Lê Duy Hai, directeur de la Sécurité publique de la province de Kontum, venu s’entretenir de l’affaire de Turia Yôp à l’évêché de Kontum, le vicaire général, le P. Nguyên Van Dông, a demandé à brûle pourpoint : « Si les autorités publiques ne permettent pas à l’évêque d’aller célébrer la messe à Turia Yôp, celui-ci ira-t-il quand même ? S’il n’y va pas, alors qu’il démissionne ! » Une phrase qui exprime l’opinion et la position de toute la famille du diocèse. Lorsque l’on a été appelé au service de la population et que l’on ne rend pas ce service en allant sur place, alors il ne reste plus qu’à démissionner !

Nous avons répondu très clairement : « L’important aujourd’hui, c’est avant tout les intérêts et le bonheur des gens du peuple. Pour le bonheur légitime du peuple croyant, même si cela est interdit, je dois y aller quand même. » Tout comme le ver qui, lorsque on marche sur lui, se tortille pour échapper à la mort. Nous les croyants, après avoir été si longtemps opprimés, pendant près de quarante ans, nous voulons pouvoir respirer, pouvoir vivre ! Vous-même avez appris cette vérité, que vous nous avez ensuite enseignée : « L’oppression engendre la lutte » ou encore : « Se battre, voilà le vrai bonheur ! » C’est aussi simple que cela ! Accusera-t-on un ver du crime d’opposition à celui qui l’écrase ! Que l’on ne traite pas de réactionnaire ou d’opposant celui qui accomplit sa mission ! Que l’on ne l’accuse pas de tentative de renversement du pouvoir ou de crime d’« évolution pacifique » (2). Cela est trop injuste !

Le prétexte avancé par les autorités de Dak Ha, à savoir : « L’ordre public et la sécurité ne sont pas assurées », ne convaincra personne dans le monde technique qui est le nôtre aujourd’hui. Par ailleurs, une telle justification n’est-elle pas une atteinte à l’honneur et au mérite des enfants d’un pays qui se vante d’avoir vaincu les deux impérialismes les plus puissants de la planète ? Après plus de trente ans de paix, on ne pourrait pas garantir une sécurité minimale pour la population d’une région qui n’est éloignée de la route nationale que de 14 km, toute proche de l’agglomération de Dak Ha, la plus riche de la province de Kontum ! Comment comprendre une telle affirmation ?

On nous affirme encore : « Il n’y a pas encore de lieu de culte… » - « Ici, les fidèles n’ont pas besoin de prêtre. Ils pratiquent leur religion à la maison. » Ou encore : « Les catéchistes célèbrent eux-mêmes les cérémonies pour les croyants… » Quiconque a un tant soit peu de bon sens et d’intelligence rejettera ces affirmations. N’est-ce pas plutôt que l’on considère que « la religion est l’opium du peuple » et que par suite, il faut l’interdire et l’éliminer ? Ou encore parce que l’on pense que la religion est une organisation réactionnaire… C’est d’ailleurs ce que me demandait, le mois dernier, un jeune Montagnard en classe de 10ème (NdT : classe de seconde dans le système français).

Messieurs, cette idée ne vous est-elle jamais venue à l’esprit : « Nos ennemis de Chine, depuis la mer d’Orient, se sont infiltrés jusqu’à Dak Ha … »

Messieurs,

Après avoir avec persévérance et patience rencontré les autorités, leur avoir exposé les faits, avoir dialogué avec elles, que devons-nous faire de plus ? Estimez-vous que nous devons accepter l’interdiction de la religion promulguées par la décision VT 269 UBND NC du district de Dak Ha ou, au contraire, devons-nous suivre l’aspiration et le désir légitimes de vivre la liberté religieuse, des sentiments éprouvés par des milliers de croyants habitant la région de Turia Yôp, et reconnus légitimes par la Constitution et la législation de la République socialiste du Vietnam ? Devons-nous écouter la parole de Dieu ou les affirmations erronées des hommes de ce monde ?

Nous voulons répéter aujourd’hui ce qui était le thème principal de notre lettre aux dirigeants suprêmes du pays, le 11 septembre 2008 : « Nous ne nous opposons en rien au régime. Nous pensons que celui-ci est aujourd’hui semblable à un bateau flottant sur la grande mer agitée par la tempête. Il n’est besoin que de changer un peu la direction du gouvernail et le peuple jouira de la liberté et du bonheur, non seulement le peuple mais le gouvernement avec lui. »

J’espère que, grâce à cette affaire de Turia Yôp, Messieurs les dirigeants du pouvoir central, vous bénéficierez d’une meilleure compréhension du peuple. J’espère que les fonctionnaires régionaux auront davantage de sympathie pour le peuple des croyants, afin que tous ensemble nous puissions construire une société plus humaine, plus fraternelle, plus apaisée et plus heureuse. Que personne n’oublie : « Les cadres-serviteurs du peuple, lorsqu’ils se rendent coupables de corruption, de bureaucratisme, lorsqu’ils maltraitent le peuple, se font les véritables saboteurs du régime ! »

De toute façon, en tant que croyants, nous devons vous remercier parce que grâce à des affaires comme celle de Turia Yôp, l’Evangile d’amour est annoncé encore plus largement et que nous-mêmes, les messagers de la Bonne Nouvelle, nous sommes rappelés à notre mission : « Proclame la parole, insiste à temps et à contretemps » (2Tm 4,2).

Respectueusement,

(signature et cachet)
Michel Hoang Duc Oanh, évêque du diocèse de Kontum


(1) NdT : le groupe de Ha Mông est un groupe dont l’inspiratrice prétend avoir reçu des révélations de la Vierge. Il est aujourd’hui en difficulté aussi bien avec l’Eglise locale qu’avec les autorités civiles.
(2) L’« évolution pacifique » est une notion apparue dans les années 1990. Elle consiste à vouloir introduire l’intérieur de la société des réformes libérales inspirées de l’étranger pour faire évoluer le régime vers sa disparition.

(Source: Eglises d'Asie, 10 avril2012)