Vendredi 4 février dernier, la Birmanie s’est dotée d’un président, l’ex-général Thein Sein, prolongeant ainsi le pouvoir totalitaire de la junte sous l’apparence d’une démocratisation des institutions. Trois mois après les premières élections législatives dans le pays depuis plus de vingt ans – un scrutin dénoncé comme une mascarade par l’ensemble de la communauté internationale – (1), le pouvoir en place a poursuivi son programme de « processus démocratique ». ..
... en réunissant le 31 janvier à huis clos le Parlement nouvellement élu afin de désigner un président. Formée de militaires et de parlementaires majoritairement inféodés à la junte, la Chambre a désigné, le 4 février, le Premier ministre Thein Stein, 65 ans, qui avait démissionné de l’armée avant les élections afin de se présenter à la tête du Parti de la solidarité et du développement de l’Union, nouvelle dénomination du parti de la junte.

La nouvelle a été accueillie sans surprise par la population, y compris les chrétiens qui, alors que se tenait la session parlementaire, disaient ne pas s’attendre « à un quelconque changement (...) » ni à ce qu’il y ait « davantage de justice et de paix dans le pays », comme le soulignait un prêtre catholique souhaitant garder l’anonymat à l’agence Ucanews le 3 février dernier. La plupart des jeunes pensent que « tout est truqué », explique encore un jeune chrétien de 24 ans, qui ajoute que « ce seront toujours les mêmes qui dirigeront le pays ».

Connu pour être un fidèle du généralissime Than Swe, à la tête de la junte depuis 1992, Thein Stein a commencé son ascension avec la répression sanglante des mouvements populaires de 1988, puis celle de « la révolution safran » menée par les moines bouddhistes en 2007. Il devient alors Premier ministre et porte-parole officiel du pouvoir en place. Un état de service qui le plaçait déjà en première ligne pour accéder à un poste de représentation, pouvant garantir la permanence de la junte. Selon la Constitution, le pouvoir absolu de Than Shwe est, de fait, renforcé par l’apparente « démocratisation » des institutions: le président, qui doit être un militaire ou un ancien militaire, n’est pas responsable devant le parlement mais seulement le chef des armées, Than Shwe. Cumulant les fonctions de Premier ministre et de président, épaulé de deux vice-présidents également proches du généralissime, Thein Stein a annoncé qu’il formerait son gouvernement dans les jours à venir.

L’ONG Christian Solidarity Worldwide (CSW) n’a pas ménagé ses critiques envers le régime militaire à l’occasion de l’examen du dossier birman par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies à Genève, peu avant la nomination de Thein Stein. Le 1er février, le responsable de CSW pour l’Asie du Sud-Est, Benedict Rogers, a notamment qualifié le nouveau Parlement de « marionnette du régime militaire qui continue à tenir les rênes du pouvoir », ajoutant qu’il « était temps pour les Nations Unies de jouer un rôle actif dans le dialogue entre le régime, le mouvement pro-démocratique d’Aung San Suu Kyi et les minorités ethniques ».

Ce mardi 8 février, Aung San Suu Kyi, icône de l’opposition birmane et empêchée par la junte de se présenter aux élections (2), a réitéré, quant à elle, sa demande de maintien des sanctions contre la junte par la communauté internationale. La levée de l’embargo économique avait été proposée par certains pays voisins et partenaires économiques de l’Etat totalitaire, arguant de la mise en route d’un processus démocratique. Lundi 7 février, par l’intermédiaire de son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), la dissidente avait déjà fait connaître le résultat d’une étude démontrant que le boycott des Etats-Unis, de l’Union européenne, du Canada et de l’Australie affectait bien la junte et ses associés économiques, et non, comme on pouvait le craindre, les citoyens de l’Union du Myanmar. Ce mardi, la dissidente a cependant appelé à un maintien des sanctions mais avec des modifications « dans l’intérêt de la démocratie, des droits de l’homme et de l’environnement ».

Du côté de la communauté chrétienne, peu nombreuse mais active en Birmanie, les responsables des différentes Eglises avaient déjà appelé à la veille du scrutin de novembre dernier, à des « élections en toute liberté et transparence » (3). Le communiqué, adressé au généralissime Than Shwe, était signé de Mgr John Hsane Hgyi, évêque de Pathein, et président de la Conférence des évêques catholiques de Birmanie (CBCM), ainsi que de Dawn Yin Yin Maw, anglicane, présidente du Conseil protestant des Eglises de Birmanie (MCC).

Une fois encore, en janvier dernier, alors que le nouveau Parlement s’apprêtait à entrer en session pour désigner le nouveau président, l’Eglise catholique a tenu à réaffirmer sa position, rappelant qu’elle considérait comme « primordial et nécessaire » le fait d’accorder davantage de liberté religieuse en Birmanie. Mgr Charles Bo, archevêque de Rangoun (Yangoon), a, entre autres, rappelé les discriminations que subissaient les chrétiens dans certaines régions du pays. Cette mention des persécutions des minorités ethniques de confession chrétienne par l’armée birmane était d’ailleurs confirmée, le 19 janvier, par un rapport de l’ONG Physicians for Human Rights, dénonçant les graves violations des droits de l’homme par les autorités dans l’Etat Chin contre l’ethnie du même nom, à 90 % chrétienne. Selon l’ONG, les violences subies de façon répétées par ces populations (viol, meurtre, torture, travaux forcés, destruction de biens) appellent une enquête des Nations Unies pour crimes contre l’humanité.

Toujours dans ce message de janvier, Mgr Charles Bo faisait également remarquer qu’avant la nationalisation de 1965, « le système éducatif du Myanmar était connu pour son excellence dans toute l’Asie » comme la haute qualité des hôpitaux et des institutions gérées par l’Eglise catholique, mais que, depuis cette date, « il était indéniable que la situation ne faisait que se dégrader ». Le prélat concluait par l’espoir que la nouvelle Constitution puisse permettre à l’Eglise d’ouvrir et de gérer à nouveau des écoles et universités privées (3).

A l’heure actuelle, toutes confessions confondues, les chrétiens représentent en Birmanie un peu moins de 5 % d’une population bouddhiste à plus de 89 %. Malgré tout, l’Eglise, déjà très engagée dans l’action sociale et humanitaire, n’hésite pas à intervenir également – avec prudence et diplomatie – dans le domaine des libertés et des droits de l’homme.

(1) Voir EDA 537
(2) La célèbre dissidente, lauréate du prix Nobel de la paix, privée de liberté pendant près de 20 ans, n’a été libérée qu’une semaine après les élections. En 1990, lors des dernières élections en Birmanie, la LND, parti d’Aung San Suu Kyi, avait remporté les élections mais le résultat du scrutin avait été aussitôt annulé par la junte.
(3) Voir EDA 537
(4) Site de la NLD, 8 février 2011; Reuters, 7 février 2011; Ucanews, 2 février 2011; Compass Direct News, 19 janvier 2011; Fides, 15 janvier 2011.

(Source: cglises d'Asie, 8 février 2011)