L’initiative est inédite : des prêtres vietnamiens, du diocèse de Vinh, viennent de passer plusieurs jours en Europe pour alerter l’opinion publique internationale sur la situation des provinces du centre de leur pays. Celles-ci ont été touchées, il y a un peu plus d’un an, par la plus grave catastrophe écologique de l’histoire récente du Vietnam.

En avril 2016, le rejet en mer de Chine de substances toxiques par l’aciérie taïwanaise Formosa a causé une pollution dramatique de l’espace maritime ; par centaines de tonnes, des poissons et des crustacés sont venus s’échouer sur les plages. L’événement a suscité une émotion considérable au sein de la population et, depuis lors, les protestations n’ont pas cessé.

Le 3 mai 2016, 18 000 personnes signaient une lettre destinée aux autorités civiles locales et à l’Assemblée nationale vietnamienne, décrivant la situation catastrophique de la population de la région. Un an plus tard, c’est un courrier, cette fois signé par près de 200 000 personnes, que la délégation, menée par Mgr Nguyên Thai Hop, évêque de Vinh, a remis aux représentants d’organisations internationales.

De passage à Paris, Mgr Nguyên Thai Hop, 72 ans, a accepté de répondre aux questions d’Eglises d’Asie.

Eglises d’Asie : Quelle est la situation présente de votre diocèse ?

Mgr Nguyên Thai Hop : Le diocèse de Vinh se trouve au centre du Vietnam et son territoire couvre trois provinces : Nghe An, Ha Tinh et Quang Binh. Ce sont des provinces pauvres car la grande majorité de la population tire sa subsistance de la mer ou du travail agricole, des métiers où on ne gagne pas beaucoup d’argent.

Actuellement, les personnes qui travaillent dans ces métiers, et dans les secteurs connexes, tels que les producteurs de sel, les restaurateurs et les commerçants, sont terriblement frappées par la pollution causée par Formosa.

Pour les pêcheurs, la mer est la source naturelle de la vie. Elle fournit la nourriture, l’argent pour envoyer les enfants à l’école, l’argent pour construire la maison, ... Désormais, ils ne vont plus en mer car les poissons sont morts et, si on a la chance d’en trouver, on ne peut pas les vendre car personne ne veut acheter le poisson de ce secteur. Cette situation est terrible. Beaucoup de bateaux sont laissés à l’abandon. Très nombreux sont les pêcheurs qui sont sans travail. Et ils ne savent pas comment assurer les besoins de leur famille.

Vous effectuez une « Marche pour la justice et les droits de l’homme » en Europe. Pour quelles raisons ? Quel message souhaitez-vous faire passer ?

Le mois dernier, le clergé de Vinh, tous les membres du clergé, et près de 200 000 personnes, victimes directes et indirectes de cette catastrophe, ont signé une lettre envoyée à la communauté internationale, à notre gouvernement, à tout le peuple vietnamien et à Formosa. Nous attendons une réponse du gouvernement et de la société Formosa.

Mais jusqu’à présent, les autorités ne font pas preuve de compréhension. Même à haut niveau, elles ne comprennent pas la gravité de la situation. Après la catastrophe, aucune analyse scientifique de la pollution n’a été effectuée : quelle en est la cause exacte ? Quand pourra-t-on pêcher de nouveau ? Se baigner ? Comment dépolluer les côtes affectées ?

Nous avons effectué un long périple depuis Oslo jusqu’à Bonn, puis jusqu’à Bruxelles et Genève, pour dialoguer avec les représentants de différentes organisations. Partout, l’environnement, la justice, la dignité humaine, la situation des victimes sont au cœur des préoccupations.

Dialoguer avec les organisations internationales, dialoguer avec les représentants de l’Union européenne, dialoguer avec les organisations non gouvernementales : je ne suis pas préparé pour accomplir ce travail. Mais la situation terrible dans laquelle se trouvent les habitants du centre du Vietnam questionne notre conscience et nous oblige. C’est ce qui explique notre engagement au sein de cette « Marche pour la justice et les droits de l’homme ».

Sur quels motifs repose le désarroi de la population de votre diocèse ?

Premièrement, nous critiquons vivement le choix fait par les autorités de travailler avec Formosa, une aciérie qui utilise des technologies désuètes et qui a de fâcheux antécédents en matière de pollution. Le gouvernement a coopéré avec Formosa pour fixer une indemnisation de 500 millions de dollars. Il s’est mis d’accord avec Formosa sur le montant de cette indemnisation. En principe, il aurait fallu travailler avec les victimes, analyser avec elles la situation pour évaluer le préjudice subi. Plus d’une année a passé et des victimes n’ont pas encore été indemnisées à hauteur du préjudice subi.

Deuxièmement, pour les autorités civiles, les victimes seraient plus ou moins 200 000. En réalité, il y en a au minimum trois fois plus. Si on ajoute les victimes indirectes, deux millions de personnes sont concernées. Sachant qu’il y a environ six millions de personnes dans le diocèse de Vinh, dont 500 000 catholiques. Nous travaillons pour toutes les victimes, pas seulement pour les catholiques et il y a encore beaucoup de victimes qui ne figurent pas dans la liste officielle des personnes à indemniser. Et curieusement, j’ai entendu que les noms de plusieurs prêtres figuraient dans la liste des personnes à indemniser : j’ai immédiatement téléphoné aux autorités locales afin de faire rayer ces noms de la liste. Je ne sais pas qui a ajouté ces noms, mais ce n’est sûrement pas un membre du clergé.

Enfin, différents gouvernements étrangers ont voulu coopérer avec le peuple vietnamien pour déterminer quelle méthode scientifique permettrait de dépolluer la côte du Vietnam. Mais le gouvernement vietnamien n’a pas voulu. A Genève, on m’a indiqué que l’ONU avait proposé de venir en aide au gouvernement et au peuple du Vietnam. Malheureusement, le gouvernement a refusé. Cette attitude irresponsable est incompréhensible. Parce qu’on ne peut pas attendre de la nature qu’elle nettoie toute cette pollution. C’est pourquoi je comprends que les gens soient furieux devant cette situation.

Comment expliquer la particulière virulence des manifestations dans les provinces de Nghe An et de Ha Tinh ?

Les habitants de la côte de la province de Nghe An ne figurent pas dans les listes des bénéficiaires de l’indemnisation, contrairement à ce qu’ont indiqué les autorités locales. Et la moitié des habitants de Ha Tinh n’est pas non plus dans cette liste.

A Ha Tinh, un secteur a déjà reçu une indemnisation : le montant de celle-ci est insuffisant. En plus, les fonctionnaires ont indemnisé des personnes qui ne sont pas des victimes de la catastrophe, et des victimes n’ont pas été indemnisées. Ils n’ont pas bien fait leur travail, ce qui explique le mécontentement et les manifestations.

Que désirez-vous ?

Nous ne demandons pas seulement une indemnisation juste, mais aussi la fermeture de l’usine Formosa à Ha Tinh. Pour éviter la contamination de la mer, des rivières, des sols et sous-sols.

Actuellement, l’usine fonctionne en rodage. Si elle se met à fonctionner à plein régime, que va-t-il se passer ? Comment vivre dans ce secteur ? [Le Courrier du Vietnam rapporte que les autorités locales encouragent « l’entrée en activité [de Formosa] dans le meilleur délai possible ».]

Que proposez-vous pour sortir ces gens de la misère actuelle à part une juste indemnisation ?

Jusqu’à présent, nous n’avons pas encore trouvé la solution. Mais j’espère qu’avec l’aide du gouvernement et des organisations internationales, des structures engagées au service des droits de l’homme et de l’environnement, et le soutien de toutes les personnes de bonne volonté, nous trouverons la solution. (eda/jm et rg)
(Source: Eglises d'Asie, le 22 mai 2017)