Quatre jours avant les élections législatives historiques qui se tiendront ce dimanche 8 novembre en Birmanie, Mgr Charles Bo, cardinal et archevêque catholique de Rangoun, a publié un vibrant appel pour inciter l’ensemble de ses concitoyens, les quelque 32 millions d’électeurs que compte le pays, à « voter sans crainte et sans chercher [leur] intérêt [personnel] ». « Voter est un devoir sacré », écrit-il.

L’appel du cardinal, daté du 4 novembre, souligne l’importance que revêtent ces élections pour la Birmanie. Mgr Charles Bo parle d’un « moment pivot dans l’histoire du Myanmar », un moment que « la nation attend depuis des décennies ». Dans une allusion aux précédents scrutins (celui de 1990, remporté par la Ligue nationale pour la démocratie mais dont les militaires n’avaient pas tenu compte, et celui de 2010, contrôlé par ces mêmes militaires), il écrit : « Après tant d’espoirs déçus, mon cher peuple, nous tenons nos premières élections libres. Quatre-vingt-treize partis, 5 800 candidats adoubés par un parti, 3 000 candidats indépendants. La quête de la démocratie est bien présente et vivante au Myanmar aujourd’hui ! »

Mgr Charles Bo, qui n’a pas caché ces derniers temps la faible estime dans laquelle il tient les militaires et la nécessité pour le pays de renouveler ses dirigeants, poursuit en saluant « la sagacité des leaders [de la Birmanie] » en ce qu’ils ont su favoriser la démocratie. Il encourage les responsables à faire de ces élections « un succès ». Et il dénonce vigoureusement « les éléments marginaux et les marchants de haine » qui, « à visage découvert, essaient de salir la réputation de notre nation », allusion transparente aux moines bouddhistes extrémistes du Ma Ba Tha, ce groupe minoritaire mais très visible qui n’a de cesse de défendre un ordre du jour pro-bouddhiste, violemment antimusulman et étroitement nationaliste.

Le cardinal poursuit en « priant » pour que la Commission électorale fasse preuve de courage ce dimanche. Le travail effectué jusqu’ici par la commission est « louable », mais les heures qui vont suivre appellent « une vigilance renforcée ». Mgr Charles Bo souligne combien la communauté internationale observe ce qui se passe en ce moment en Birmanie et insiste sur la responsabilité qui est celle de la commission. « Le peuple veut des élections pacifiques », insiste-t-il.

Quant à l’exercice même du droit de vote, l’archevêque de Rangoun appuie le trait : « Voter est un devoir sacré. Par le vote, le peuple détermine son avenir. Se rendre dans les bureaux de vote, c’est effectuer un pèlerinage porteur d’espoir. » Si le cardinal insiste ainsi sur le caractère décisif de ce vote, c’est sans doute que, notamment dans les pourtours géographiques du pays, là où sont concentrées les minorités ethniques, si la jeunesse est mobilisée, les générations plus âgées, qui ont en mémoire les précédents scrutins, peuvent se montrer désabusées ou sceptiques quant à l’utilité de voter.

Selon les chiffres de la Commission électorale, sur les 6 074 candidats aux différents postes de députés (pour les deux Chambres nationales et les différents parlements régionaux), 903 sont des chrétiens. Sachant que les Etats Kachin, Karen, Chin et Kayah abritent d’importantes populations chrétiennes, l’enjeu pour l’Eglise est que les électeurs de ces régions aillent voter et envoient siéger des représentants qui sauront faire entendre la voix des minorités ethniques et religieuses. A plusieurs reprises ces derniers temps, Mgr Charles Bo a déclaré qu’il n’était « pas acceptable » de concevoir la Birmanie comme étant un pays « [ethniquement] bamar et bouddhiste, le pays d’une seule race et d’une seule religion ».

Le cardinal conclut par ces mots : « Aujourd’hui, nous avons rendez-vous avec notre destin. Soit nous nous tenons debout ensemble, soit nous sombrons. Ce qui sortira des urnes déterminera notre avenir. Dieu a béni cette nation avec des trésors en abondance. Et le plus grand de ces trésors est l’amitié entre les hommes, une nation arc-en-ciel composée de 135 groupes ethniques et des principales religions. Nous avons besoin de la paix maintenant ! » (eda/ra)

(Source: Eglises d'Asie, le 6 novembre 2015)