Dans les jours précédant le Nouvel An lunaire, la fête du Têt, célébrée cette année le 19 février, les autorités vietnamiennes ont arrêté et fait condamner plusieurs blogueurs et militants des droits de l’homme pour « activités anti-étatiques ». Au sein d’une société civile de plus en plus remuante et complexe, les avis sont partagés parmi les activistes, sur l’orientation que prend le Parti communiste en matière de répression des libertés ainsi que sur l’attitude à adopter vis-à-vis des autorités en place.

Le 12 février dernier, le Tribunal populaire de la province de Dong Nai a condamné les blogueurs Lê Thi Phuong Anh, Pham Minh Vu et Do Nam Trung, à des peines de 12 à 18 mois de prison, en vertu de l’article 258 du Code pénal, qui punit les « abus de libertés démocratiques ». Arrêtés le 15 mai 2014 alors qu’ils couvraient une manifestation anti-chinoise protestant contre les forages pétroliers menés par une société chinoise en mer de l’Est, Lê Thi Phuong Anh, Pham Minh Vu et Do Nam Trung avaient été inculpés pour avoir publié sur leurs comptes Facebook respectifs des informations relatives à ces manifestations. D’après le verdict, les trois blogueurs auraient utilisé leur compte afin de « disséminer des contenus (articles, photos) incitant et conduisant à des rassemblements anti-étatiques ». Depuis 2004, les autorités vietnamiennes recourent fréquemment à l’article 258 du Code pénal pour réprimer les délits d’expression.

Du fait de l’étroit contrôle exercé par l’Etat sur les médias officiels, les Vietnamiens se tournent de plus en plus massivement vers les blogs et les réseaux sociaux à la recherche de nouvelles exemptes de la propagande habituellement diffusée par les médias autorisés. Selon Reporters Sans Frontières, au 31 décembre dernier, 29 blogueurs avaient eu à connaître la prison ou étaient toujours détenus pour « abus des libertés démocratiques », « subversion », « propagande antigouvernementale » ou bien encore « tentative visant à renverser le gouvernement ». Pas plus tard que le 9 février dernier, la licence de Nguoi Cao Tuoi, un site Internet connu pour sa liberté de ton, et la carte de presse de son rédacteur en chef, Kim Quoc Hoa, ont été révoquées par le ministère de l’Information et des Communications, au motif que le site avait « fabriqué des informations ». En réalité, il semble que des articles dénonçant des cas précis de corruption d’officiels aient déplu.

En contrepoint, à la veille du Têt, moment où il est de tradition que des prisonniers soient amnistiés, deux blogueurs, emprisonnés pour avoir postés des commentaires critiques envers le gouvernement, ont été remis en liberté.

Dans ce paysage en évolution constante, Radio Free Asia, dans un papier daté du 18 février, note que les avis sont « partagés » parmi les plus en vue des défenseurs des libertés sur les attentes que les Vietnamiens peuvent nourrir envers le Parti communiste vietnamien.

Nguyên Bac Truyên est un ancien prisonnier politique ; défenseur des droits des personnes victimes d’expulsion forcée ainsi que des droits des adeptes du bouddhisme Hoa Hao, il se montre confiant dans l’avenir démocratique de son pays en dépit du maintien au pouvoir d’un parti unique. « J’ai été en prison, puis en liberté provisoire et je continue à rencontrer toutes sortes de difficultés dans ma vie quotidienne. Et pourtant, je crois que le Vietnam connaîtra sous peu la démocratie et les droits de l’homme », explique-t-il au service en langue vietnamienne de Radio Free Asia. Soumis à un harcèlement quasi quotidien de la police, il a choisi de demeurer au Vietnam plutôt que d’émigrer, afin, précise-t-il, « de continuer son combat pour la cause qu’il a embrassée ». A propos de la future loi sur la religion dont le gouvernement a annoncé la publication cette année (1), il estime qu’« il est possible que ce texte rencontre une partie des attentes des adeptes du Hoa Hao, ainsi que celles des croyants des autres religions ». « Attendons et nous verrons s’il [le gouvernement] tient ses promesses pour 2015 », conclut-il.

Trân Duc Thach a été arrêté en septembre 2008 à lors d’un vaste mouvement contre la dissidence interne. Jugé pour ses écrits, qui exposaient la corruption, les injustices et les violations des droits de l’homme dans le pays, il a été condamné à trois ans de prison. Selon lui, « le mouvement pour la démocratie et les droits de l’homme s’est largement répandu dans l’ensemble de la société » au point que « l’espoir d’un Vietnam meilleur pour l’avenir ne relève pas de l’illusion mais de la certitude ». Il ajoute que lorsque les souffrances endurées par un peuple du fait d’un régime répressif deviennent trop grandes, les gens se dressent contre leurs dirigeants. « Un gouvernement ne peut survivre que s’il a la confiance du peuple ; autrement, tôt ou tard, il s’effondre », analyse-t-il, précisant : « Jour après jour, je vois plus clair ; un gouvernement qui vit sur le peuple mais ne se fait pas proche du peuple – et, au contraire, le harcèle –, ce gouvernement-là tombera. »

Trân Anh Kim fait partie des prisonniers qui ont recouvré la liberté cette année à l’occasion des amnisties accordées avant le Têt. Ancien commissaire politique adjoint d’un régiment de l’armée stationné dans la province de Thai Binh, il a été condamné en 2009 à cinq années et demi de prison pour « subversion » du fait d’activités pro-démocratiques. « Premièrement, j’ai confiance en la jeunesse. Deuxièmement, je fais confiance aux intellectuels. Ils [la police] me contactent régulièrement, mais plus ils cherchent à me bâillonner, plus ma voix est entendue. Partout, les gens en ont assez, mais ils n’ont pas encore pris la parole », confie-t-il à Radio Free Asia. En janvier dernier, selon Voice of America, treize militants vietnamiens ont été interpellés et détenus plusieurs heures avant d’être relâchés non sans avoir confessé avoir enfreint la loi en rendant visite à Trân Anh Kim, qui est toujours en liberté provisoire.

Lê Thi Công Nhân place, quant à elle, son combat sur le terrain du syndicalisme. Face à l’impossibilité d’obtenir des réformes politiques, l’organisation qu’elle représente, Viet Labors, milite pour la création de syndicats indépendants au Vietnam. Il existe bien un syndicat officiel, mais il est contrôlé par le gouvernement et ses dirigeants ne défendent pas pleinement les droits des travailleurs, explique-t-elle. « Dans la situation économique qui est celle du Vietnam aujourd’hui, les travailleurs sont exploités, analyse-t-elle. Ils souffrent et, parce que la majorité d’entre eux n’a pas accès à une formation supérieure, ils sont cantonnés dans des tâches peu qualifiées. Dès lors qu’un conflit surgit, ils ne sont pas défendus et le parti dirigeant persiste à plaider l’avantage compétitif que représente une main-d’œuvre peu coûteuse pour attirer les investisseurs. » Dans ce cadre, Viet Labors cherche seulement à éveiller les consciences pour que les travailleurs puissent défendre leurs droits et mettre en place leurs propres organisations représentatives. « Viet Labors n’a pas d’ambition politique au sens où les travailleurs devraient entrer en politique et fonder leur parti politique, conclut la militante syndicaliste. Les travailleurs sont toutefois aussi des citoyens et ils entreront en politique s’ils l’estiment nécessaire. Dans l’immédiat, Viet Labors se concentre sur un objectif : établir des syndicats indépendants dirigés par ceux qui travaillent. »

Pham Thanh Nghiên appartient à plusieurs organisations de la société civile. En janvier 2010, elle a été condamnée à quatre ans de prison, suivis de trois ans de résidence surveillée, pour avoir mené une grève de la faim en protestation des empiétements chinois sur les Paracels (Hoang Sa en vietnamien) et les Spratleys (Truong Sa), archipels situés en mer de Chine méridionale (Biên Dông, ‘mer de l’Est’ en vietnamien) revendiqués à la fois par la Chine et ses voisins – dont le Vietnam. Elle estime que, ces deux dernières années, « de nombreux groupes ou organisations » sont apparus, apportant « de l’air frais au sein du mouvement pour la démocratie au Vietnam ». Blogueuse elle-même, membre de l’Association des anciens prisonniers de conscience vietnamiens, elle note toutefois que les obstacles sont nombreux. « Ces organisations ne se donnent pas d’objectifs assez ambitieux », explique-t-elle, et, à part publier quelques communiqués communs ou prendre part à des manifestations, « elles ne travaillent pas ensemble ». Pour avoir un impact plus « positif » sur les progrès de la liberté au Vietnam, affirme Pham Thanh Nghiên, « elles doivent travailler ensemble autour d’objectifs précis ». (eda/ra)

(1) Le précédent texte législatif sur la religion remonte à 2004 ; il s’agit de l’Ordonnance sur la croyance et la religion.

(Source: Eglises d'Asie, le 20 février 2015